Chapitre 7
LA vITRe de Maeve fut remplacée le lundi et, en dépit de son agitation, elle n'y fit pas placer des bar-reaux, ni sur le reste de ses fenêtres. Cela faisait presque dix ans qu'elle vivait là, et c'était son premier cambriolage. D'un point de vue statistique, elle devrait être tranquille un moment maintenant. Cette réflexion ne l'apaisait pas.
Quand elle retourna travailler le mardi pour un service de jour, elle découvrit par contre que passer de patient en patient avec un emploi du temps chargé calmait bien ses angoisses. Pas d'opération en urgence avec un beau mec qui se réveille au milieu. Pas de brutes masquées qui la menaçaient pour avoir fait son travail et sauvé une vie. Pas de demande pour qu'elle remette un colis qu'elle n'avait jamais demandé ni voulu. Un colis qu'elle aurait franchement dû envoyer valdinguer.
Juste une journée normale et pourtant, quand son service se termina en fin d'après-midi, avec le crépuscule qui tombait déjà, sa nervosité revint. Jeff, le garde qui se tenait à l'entrée principale, lui sourit alors qu'elle approchait :
- Bonsoir, Dr Friedman.
- Bonsoir, Jeff. Je suppose que ce n'est pas possible de me raccompagner jusqu'à ma voiture?
- On m'a raconté ce qui vous est arrivé l'autre jour. Saletés de toxicos, dit-il en secouant la tête.
Donnez-moi juste une seconde. Il faut que je me déconnecte et que je ferme mon poste de travail.
Jeff se tenait dans une cabine d'où il gérait les allées et venues des piétons dans l'hôpital et s'occupait des problèmes qui apparaissaient. Dans un hôpital, une situation pouvait dégénérer en quelques secondes : quand les gens souffraient, que ce soit physiquement ou émotionnellement, ils pouvaient exploser n'importe quand.
- Un grand merci, dit Maeve même si cela lui déplaisait de rajouter cette nouvelle angoisse dans
sa vie.
Brandy semblait penser que ça lui passerait. Donne-toi quelques semaines et tu n'y penseras même plus.
Maeve l'espérait de tout son cœur.
Des cris retentirent alors que Jeff finissait de fermer la porte de son box. Un coup d'œil à la salle d'attente avec les fauteuils bleus révéla deux hommes qui se donnaient des bourrades.
- Désolé, Docteur, dit le garde. Il faut que je m'occupe de ça d'abord.
- Bien sûr.
Maeve le regarda se dépêcher de rejoindre les hommes pour les séparer et grimaça quand il se prit dans la mâchoire un coup de poing qui ne lui était pas destiné.
Le garde secoua la tête et pointa du doigt.
— Dehors!
- Mais...
Ils se mirent à protester, comme quoi, en dépit de leur engueulade et d'avoir frappé Jeff, il n'y avait rien à leur reprocher. D'expérience, Maeve savait que ça allait prendre du temps. Elle jeta un coup d'œil aux portes et au flot de gens qui y passaient. Il faisait à peine sombre et il y avait encore du monde. Tout irait bien.
Les épaules en arrière. On inspire à fond. Elle franchit les portes, la tête haute, et avança rapidement sur le parking. Le personnel avait sa propre entrée, bien éclairée, mais elle ne put s'empêcher de regarder à droite et à gauche. Elle était nerveuse et sursautait au moindre signe de mouvement.
En approchant sa voiture, elle serra ses clés dans son poing en les laissant dépasser entre ses doigts, comme elle avait appris à le faire lors d'un cours de self-défense. Elle appuya sur le bouton. Les lumières clignotèrent, révélant une forme accroupie entre son véhicule et celui d'à côté. La personne se redressa.
Pas encore!
Elle s'arrêta et se serait tournée pour courir, sauf que l'homme qui attendait retira la capuche de son sweat, révélant ses traits. Pas de masque, alors elle le reconnut. Comme si elle avait pu oublier la mâchoire carrée de la victime des blessures par balles qui s'était barrée de l'hôpital l'autre soir.
Si elle n'avait pas retiré les balles elle-même, elle n'aurait jamais cru qu'il avait été blessé. Il s'avança vers elle d'une démarche assurée. Il devait toujours être drogué. C'était impossible autrement d'avoir une telle résistance à la douleur.
Et s'il était là, dans ce parking, ça ne pouvait être que pour une seule chose. Il voulait davantage de drogues.
Elle leva une main en signe d'avertissement.
- Arrêtez-vous. Pas un pas de plus.
Il s'immobilisa.
- Re-Bonjour, ma chérie.
— Je ne suis pas votre chérie. Qu'est-ce que vous faites là? Qu'est-ce que vous voulez? Je n'ai pas d'opioïdes sur moi et je ne peux pas non plus vous en prescrire.
- La vache, les gens vous tombent vraiment dessus pour ce genre de trucs?
Il avait l'air surpris.
- Les toxicos n'ont pas de limites. Je suppose que je devrais aussi mentionner que je n'ai jamais de cash sur moi.
Il grimaça.
— Je ne suis pas un voleur. Ni un toxico, d'ailleurs.
- Dit l'homme qui me tombe dessus dans un parking.
Maeve n'abaissa pas sa garde, même une seconde, peu importe qu'il s'exprime avec cohérence.
Il haussa un sourcil.
- Je ne dirais pas que je vous suis tombé dessus alors qu'on est genre, à deux mètres de dis-tance.
- Ce parking est réservé aux employés. Vous ne devriez pas être là.
- Je veux vous parler.
— Et vous vous êtes dit que c'était une bonne idée de me suivre dehors pour ça, plutôt que de rentrer dans l'hôpital où vous n'auriez pas eu l'air aussi menaçant?
Il pinça les lèvres.
— Je n'ai pas dû assez y réfléchir. Mais je peux vous assurer que je ne suis pas là pour vous faire du mal.
— Alors qu'est-ce que vous faites là?
- Plusieurs raisons. D'abord, je me suis rendu compte que je m'étais conduit comme un enfoiré l'autre jour. Vous étiez là, à me rabibocher, et je vous ai fait des misères. Désolé.
Il prononça ses excuses d'une voix basse et traînante qui semblait sincère.
— Ne vous en faites pas pour ça. Les gens disent des tas de trucs quand ils ont mal.
Tant qu'à y être, elle inclina la tête et demanda :
- Comment vont vos blessures?
- Bien. Ça cicatrise.
- Et vous faites attention à ce que ça ne s'infecte pas?
Le coin de sa bouche se souleva.
- Je vais bien, mais si vous voulez vérifier par vous-même, vous n'avez qu'un mot à dire et j'en-leve mes fringues.
Était-il sérieusement en train de flirter?
- Vous vous êtes excusé. Maintenant, si ça ne vous dérange pas, j'aimerais rentrer chez moi. La journée a été longue.
- Je comprends, mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle je voulais vous parler. J'ai besoin de savoir : est-ce que le nom de Théodore Russel vous évoque quelque chose?
Elle se figea. Quelle était la raison de tout cet intérêt pour son père, soudain?
— Pourquoi?
Une réponse évasive.
- La réponse c'est un oui ou un non, ma belle.
Elle pinça les lèvres et répondit à voix basse :
- Je connais ce nom.
- On ne dirait pas que vous appréciez la personne.
— Je le déteste.
Véhémente, soudain.
- Un peu dur, non? Théodore Russel est votre père.
C'était une affirmation, pas une question.
— Je n'ai pas de père.
- Ce n'est pas ce que dit votre livret de naissance.
- Vous avez piraté mes informations personnelles? Comment osez-vous?
Elle était choquée par cette invasion.
- Ce n'est pas du piratage. L'information m'est plus ou moins tombée dessus, je n'ai fait que la vé-rifier.
Cela ne l'apaisait guère.
— Qui êtes-vous? Pourquoi vous immiscez-vous dans ma vie privée?
- Parce que vous êtes liée à Théo Russel, ce qui n'explique qu'en partie ce qu'ils sont en train de faire, marmonna-t-il.
— Qui fait quoi? Et pourquoi vous vous intéressez à mon père décédé?
- Alors vous êtes au courant qu'il est mort. Vu votre antipathie à son égard, je suppose que vous n'étiez pas proches.