02
- Non !
Je parvins à libérer mon poignet avec un dernier recours de force et projetai mon père contre la table. Il tomba brutalement au sol et les placards cédèrent en brisant de la vaisselle rangée soigneusement à l'intérieur.
May releva doucement ses yeux du corps de mon père pour les ancrer dans les miens. Je savais que je n'allais pas aimer ce qui allait s'ensuivre.
Elle n'eut qu'un mouvement de tête à faire pour m'envoyer contre le mur qui n'amortit nullement mon arrivée. Je grimaçai de douleur et serrai les dents pour tenter de me libérer de son emprise. Elle était beaucoup plus forte que moi. Foutu aïkido. Sa force était mesurée et équitable, permettant à son corps de gérer sol énergie sur mes muscles sans la fatiguer. Ma sœur s'avança lentement, faisant peser sa colère dans son attitude. À ma hauteur, elle siffla :
- Écoute-moi bien Tess, je sais que tu as peur de retourner là-bas. Je sais qu'en ce moment tu ne te trouves pas. Il faut que tu arrêtes de piquer des crises parce que quelque chose te tracasse. Il ne viendra pas ici parce qu'il sait très bien que nous y sommes préparées.
Elle resserrait son emprise au fur et à mesure qu'elle me parlait pour me faire peser le poids de ses mots. Je tentai l'assommer en attirant un objet divers à travers la pièce mais elle l'arrêta net. May avait toujours un coup d'avance sur les autres.
J'avais l'impression qu'elle aspirait mon énergie pour la réutiliser contre moi et c'était sans doute plus quelque chose de réel qu'une impression. Un sentiment de trahison me laissa un goût amer dans la gorge, me faisant grimacer.
- On a encore beaucoup de boulot à faire toi et moi mais si on s'y met ensembleon peut le faire Tess.
Elle avait l'air d'y croire et ses belles paroles de motivations -sans doutes volées dans les films- me donnaient envie d'essayer.
La colère se dissipait petit à petit au fur et à mesure qu'elle m'affaiblissait, laissant place à une fatigue déclenchée par ma sœur. Elle me laissa glisser au sol mollement et s'agenouilla à ma hauteur. Mes muscles s'engourdirent peu à peu, mon rythme cardiaque retomba lentement à la normale, ma tête s'allèga doucement. Son nez saignait, ses yeux étaient rougis par l'effort mais un doux sourire décorait quand même son visage. D'une main, elle releva mon menton et chuchota :
- J'espère que le lycée t'aidera à te canaliser.
Elle déposa un baiser sur ma joue. Le lycée, m'aider ? J'en doutais fort. Cet endroit aspirait plus à la haine qu'à l'effort.
Ses caresses sur ma joue finirent de m'apaiser et je me sentis happer par un trou noir infini.
Le bruit strident de mon réveil me tira du sommeil. De ma main, je tâtai la table de chevet jusqu'à trouver le réveil pour arrêter cette alarme de malheur. Je m'étirai longuement et fixai le plafond.
Aujourd'hui nous étions mardi, ma sœur et moi faisions notre entrée au lycée. Mon père avait insisté pour que nous soyons les plus normales possibles et avait contacté un bahut dans une des banlieues proches de notre domicile. Nous avions réussi les tests sans tricher, ou presque.
J'ouvris le dressing qui reliait ma chambre à celle de May, pris un jean et un pull. J'aimais me faire présentable mais seulement pour mon intérêt personnel.
- Non, c'est uniforme, coupa ma sœur.
Je coulai un regard à May qui avait déjà enfilé les habits réglementaires. Une jupe bleue marine, une chemise blanche accompagnée d'une cravate et un blazer assorti au bas.
- Il est hors de question que je mette cette horreur, râlai-je.
D'un regard, je tirai le rideau qui nous séparait pour ne pas la voir et soupirai. Je réfléchis et me rendis à l'évidence, j'étais obligée de m'habiller selon le règlement ou j'allais avoir des comptes à rendre à mon père. J'enfilai avec dégoût l'uniforme et pris une mine dépitée en
Voyant mon reflet dans le miroir. Mais prenant conscience que ma sœur allait avoir exactement la même tenue, je souris un peu plus satisfaite :
- Déjà qu'on nous confond.
May ouvrit le rideau et nous nous jaugeâmes mutuellement. Elle et moi avions déjà joué à nous habiller de la même façon étant petites mais là, il fallait avouer que la ressemblance était frappante. Je souris faiblement en voyant ma copie conforme me sourire.
- Allez, on y va, rit-elle.
Elle avait posé une main sur mon épaule. Quand il faut y aller…
- Ouais, soupirai-je.
Aucune de nous deux ne prit de petit-déjeuner, trop stressées à l'idée d'entrer dans un nouveau monde. Heureusement que j'avais Mike, mon père avait finalement accepté de me faire entrer dans sa classe. Un ami me suffisait amplement, je n'avait pas besoin de connaître d'autres personnes. Par contre pour ce qui était d'être dans la classe de ma sœur, mon père avait catégoriquement refusé sous prétexte que les contrôles auraient trop de similarités. Il avait ajouté que si nous nous conduisons bien, il demanderait à ce que notre terminale se fasse ensemble.
Je vissai mes écouteurs dans mes oreilles et n'adressai plus la parole à May durant le trajet. Le lycée n'était pas si loin de la maison. Nous nous arrêtâmes devant un immense portail grisâtre. Ma jumelle sonna à l'interphone avant de me briefer :
- On ne sera pas dans la même classe. N'utilises pas tes pouvoirs et si t'as un problème on se contacte mentalement et discrètement ok ?
- Ça vaut pour nous deux. Et ne me rappelle pas combien je vais te manquer, je le sais.
Je ponctuai ma phrase d'un clin d'œil malicieux et poussai la grille en la tenant aimablement le temps que ma sœur passe.
Ce lycée gigantesque et les couloirs semblaient sans fins. Une surveillante nous accompagna à nos classes respectives laissant d'abord ma sœur qui me sourit avant de passer la porte. Ce fût mon tour de rencontrer mes collègues, stressée mais confiante.
La surveillante toqua à la porte et attendit l'autorisation pour entrer, moi à sa suite.
Les chaises raclèrent sur le sol et la masse d'élève se mit debout en une fraction de seconde. Je sentais les regards lourds sur moi mais je m'efforçai de garder la tête haute et les yeux froids comme pour leur montrer que leurs jugements m'atteignaient guère. Quelques chuchotements se firent entendre et l'air devint suffoquant. J'en avais presque oublié l'effet que ça faisait d'être une nouvelle bête au troupeau.
D'un coup machinal, le professeur claqua sa main sur son bureau et les moutons se mirent au garde à vous.
- Je vous présente votre nouvelle camarade de classe, Tess Johnson. Elle étudiera avec vous pour le reste de l'année. J'espère que vous saurez l'accueillir comme il se doit.
Les élèves hochèrent la tête en me lançant des coups d'œil curieux puis se rassirent sur leur socles. L'homme m'indiqua la place libre à côté de Mike et je souris en croisant le regard de mon ami qui me fit un signe de la main. La journée pouvait enfin commencer.
D'un pas nonchalant, je traversai les rangées d'élèves et jetai mon sac sur le bureau. À peine installée, Mike me chuchota :
- Alors ? On n'a pas eu l'occasion d'en parler mais j'aimerais bien savoir comment tu t'es faite une place dans ce lycée aussi rapidement.
Je sortis un cahier et l'ouvris pour donner une impression de travail avant de lui répondre :
- On va dire que j'ai mes méthodes et que mon père sait convaincre.
- Ta sœur aussi est là ?
- Ouais mais dans une autre classe, avec Elya.
Il hocha la tête et prit un stylo pour noter la leçon et tracer un trait sous le titre. Elya était la meilleure amie de May, elles avaient fait toutes les bêtises possibles et imaginables sur cette planète. Inséparables je vous dis.
« Les fonctions. »
Et mince, des maths…
Je fis de même sans écouter ce que le professeur disait. Je devais étudier ma classe plus en profondeur pour pouvoir tout anticiper. La plupart d'entre eux avaient l'air d'être de sacrés fouteurs de merde ce qui ne m'étonnait pas.
Mon regard s'arrêta sur une jeune fille brune assise à deux rangs du mien. Elle faisait rebondir un stylo sur son cahier d'un air monotone et ne semblait nullement intéressée par ce qui se passait dans la salle.
- Mademoiselle Johnson ? interpella le maître des lieux.
Les regards se tournèrent à nouveau vers moi, m'arrachant un frisson.
- Pourriez-vous nous dire la relation entre le point B et la médiane du graphique ?
J'avalai difficilement ma salive, quelques sourires commençaient à apparaître sur les visages hideux de mes camarades. Des têtes à claques, ça en devenait crispant. Je réussi à balbutier :
- Euh… non. Je ne sais pas. Je ne comprends pas…
Mike retint un rire amusé. L'homme retira ses lunettes et s'avança jusqu'à mon bureau dans un silence pesant. Je mis mes mains sous la table et me balancai légèrement sur ma chaise, gênée.
- Je vous prie de suivre le cours.
J'opinai amèrement à son ordre, préférant aller dans son sens plutôt que d'entrer en conflit dès le premier jour. L'homme reprit ses explications d'un ton toujours aussi monotone en le laissant au milieu de tous ces chiffres. Mon regard divagua sur la brune, elle me sourit avec compassion et tendit son pouce pour m'encourager. Je lui souris en retour puis rangeai mes affaires quand la sonnerie retentit.
La journée touchait à sa fin et moi aussi. Je n'arrivais pas à croire qu'autant de marches pouvaient tenir dans un bâtiment si restreint. Ne pouvaient-ils pas investir dans des escalators ?
Mike me tint la grille avec galance. Je le remerciai d'un sourire fatigué.
- Alors, ta journée ? héla May.