Chapitre 1
Après avoir pleuré sur mon sort un bon moment et mangé tout ce qui se trouvait dans les
placards - allant même jusqu'à dévorer le pot de Nutella à la petite cuillère, bien sûr - Susie m'a prise entre quatre yeux et m'a remis les pendules à l'heure en me sermonnant longtemps, très longtemps !
D'ailleurs, j'ai beau avoir réfléchi à la question, je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi je fais partie de la catégorie des nanas qui se vengent sur la nourriture lorsqu'elles sont contrariées.
Résultat, en plus de m'être fait larguer, j'ai aussi pris du poids. Quelle plaie !
J'en étais arrivée à un point où plus rien ne m'intéressait. Même la couture, ma passion
première, ne me tentait plus. Je crois que c'est à ce moment précis qu'elle a estimé qu'il était grand temps de faire une sortie entre filles pour me bousculer un peu et me changer les idées. Voilà les raisons de notre soirée cinéma
Nous nous dirigeons donc vers un petit café qui se situe non loin de notre école et dans
lequel nous avons nos habitudes. Sa chaleur, son excellent nectar et surtout son papier peint inimitable des années 70 en font à mon sens une adresse quasi incontournable, souvenir agréable du Paris d'antan.
En chemin, Susie brise le silence.
- Mauvais choix de film, hein ? m'interroge-t-elle en me donnant un léger coup d'épaule.
- Comment te dire... Si tu comptais me remonter le moral avec ce dégueulis de mièvreries,
c'est raté ! je lui lâche à demi-mot.
- Oh, au moins, on a pu se rincer l'œil. Toujours, aussi canon, ce Reese Pierce ! Crois-moi,
l'en ferais bien mon quatre heures, me lance-t-elle en poussant un soupir.
- Ben, voyons. J'en toucherai deux mots à Tom pour voir ce qu'il en pense !
- Tu n'oserais pas... me demande-t-elle avec hésitation. Tu sais à quel point il peut être
jaloux ? ajoute-t-elle, un peu inquiète.
- Tu me connais, ce n'est pas mon genre, je continue, le sourire en coin pour la taquiner un
peu tout en pressant le pas.
- Espèce de..., commence-t-elle en essayant de me rattraper.
- Ne sois pas vulgaire, ma chérie. Tu sais bien que Tom n'aime pas les vilaines filles,
j'insiste encore pour l'enrager un peu plus.
- Grr, parfois je te déteste.
- C'est mon côté Mrs Hyde, que veux-tu !
Et nous rions toutes les deux de nos bêtises, bras dessus, bras dessous, en quête de notre
shoot quotidien de caféine.
Une fois attablées, nous commandons chacune un latte qui n'est autre que notre péché
mignon et commençons à discuter. What else ? Nos études, nos interminables et mémorables soirées révisions ainsi que nos nombreuses séances shopping y sont pour beaucoup...
- Antoine est venu chercher ses affaires ? je la questionne en entrant dans le vif du sujet.
En effet, suite à notre dispute, j'ai dans la précipitation oublié une chose et non des
moindres : reprendre les miennes chez lui. Après ma sortie théâtrale, je ne me voyais pas, rebrousser chemin et me confronter de nouveau à lui. Nous avons alors monté un stratagème, elle et moi, pour que je réussisse à l'éviter tout en récupérant mes effets personnels. Je lui ai donc fixé par SMS un rendez-vous à la maison pour procéder à cet échange et Susie m'a vivement encouragée à aller me promener cet après-midi-là. Pour être honnête, je dois avouer que j'ai eu énormément de mal à le faire après être restée cloîtrée chez nous en pyjama une bonne partie de la semaine.
Je parle bien de chez nous, parce que je partage une colocation avec mes meilleurs amis,
Susie et Fabio, ce qui est plutôt monnaie courante à Paris surtout si on considère le sujet épineux des logements parisiens. À l'époque, Fabio, qui étudiait dans la même école que nous, venait de poster sur le site de cette dernière une annonce pour en partager un. Voilà, comment nous nous sommes rencontré tous les trois. Depuis, nous sommes inséparables et toujours aussi férus de mode. Susie et moi avons continué nos études de stylisme tandis que, faute de moyens financiers suffisants, Fabio a été contraint d'arrêter les siennes. Il travaille actuellement dans un magasin de haute couture à Paris.
Âgé de vingt-six ans, il fait partie de la catégorie des « mecs canons +++ », genre extraterrestre, parce qu'être en tout point physiquement parfait n'est tout simplement pas humainement possible ! Fabio est grand, muscle, drôle, indéniablement beau et son accent espagnol est à lui seul terriblement sexy...
Dommage pour nous, les filles, sa préférence va aux sujets masculins. Je ne cesse de le répéter, mais il confirme sans peine un état de fait : les plus beaux mecs sont toujours gays!
Quant à Susie, en plus d'être une fille adorable, elle est surtout sublime avec ses longs
cheveux roux bouclés et son mètre quatre-vingts. Petit détail qui a toute son importance chez elle : elle est obnubilée par le vert. Heureusement, cette couleur sied à merveille avec son teint... J'ai aussi essayé, mais malheureusement, je ne peux pas en dire autant !
- Oui, il est passé en fin d'après-midi. Il était surpris de ne pas te voir, mais je lui ai raconté
que tu étais en cours. Crois-moi, c'est mieux ainsi, Ema. Ce n'était pas le bon pour toi, et tu le sais, votre histoire devenait vide ! s'empresse-t-elle d'ajouter devant ma grise mine.
Vide... vide, oui c'est bien le mot parfait pour définir notre semblant de relation.
J'ai beau me répéter qu'il est temps que je reprenne le dessus, que je vaux bien mieux que
ce salopard, que je ne suis pas le genre de fille à me morfondre dans un coin... Le choc a été si rude.
Curieusement, je crois que c'est mon nouveau statut de célibataire ainsi que la solitude qui m'angoissent le plus à présent.
Susie me sort de mes pensées
- Au fait, ta sœur a téléphoné. Elle souhaite que tu la rappelles et a précisé que c'était juste
son septième essai, me lance-t-elle avant de marquer une pause. Ne t'inquiète pas, je lui ai expliqué que tu étais fort occupée ces derniers jours avec les examens à venir, mais je ne pourrai pas indéfiniment mentir pour te couvrir, Ema !
- Je sais. Merci encore, Susie, je marmonne, parfaitement consciente de l'effort que je lui
demande
- Ce comportement ne te ressemble pas. Réagis, à la fin ! Tu viens de casser, OK. Dans
des circonstances particulières, OK. Ce type est un connard fini, OK. Mais il t'a rendu un énorme service en évitant de t'enliser dans votre couple pourri. Alors maintenant, tu vas me faire le plaisir de te bouger, de sortir, de rencontrer des gens... de redevenir toi ! Tu n'as touché ni à ta machine, ni à un patron, ni à une aiguille depuis une semaine, délaissant même ce projet de robe qui te tenait tant à cœur. Tu ne fais rien et tu t'habilles comme... comme... eh bien, comme une loque. Tu es forte, Ema, mais là, je ne te reconnais pas ! me sermonne-t-elle.
Entendre ces mots de la bouche de Susie me fait tressaillir. Le pire dans tout ça, c'est que je
sais qu'elle a raison. Mais c'est plus fort que moi, parce que c'est ma première rupture que je vis réellement comme un bel et royal échec et parce que... parce que... J'ai tout simplement envie de me morfondre un moment sans trouver d'autre explication... Un point c'est tout.
C'est vrai qu'en temps normal, j'ai pour habitude de me confier à elle et à ma sœur, Agathe.
Cette fois-ci, l'avais juste besoin de m'éloigner de toute cette agitation et de prendre du recul, seule quelque temps. Je ne peux m'empêcher de penser que le problème vient peut-être de moi et qu'au final, je suis peut-être génétiquement incapable d'aimer, condamnée au célibat à vie ou au mieux, aux aventures sans lendemain ad vitam aeternam... Quoique, si le type est un bon coup, je peux peut-être m'en contenter. C'est toujours mieux que d'être mal baisée!
S'il y a bien une chose que j'ai retenue, c'est que je serai à l'avenir beaucoup plus exigeante
avec moi-même dans ma vie amoureuse
Je sors de la contemplation de mon latte et regarde Susie qui est en train de taper un
message sur son portable. Nous avons toujours été présentes l'une pour l'autre, et encore une fois, elle me prouve son amitié en restant à mes côtés, en m'épaulant. C'est ma meilleure amie et je ne veux ni la décevoir ni la perdre. Alors, je décide de me reprendre rapidement parce qu'au final, mes amis, au même titre que ma famille, sont mon équilibre... équilibre que je me dois de préserver.
Fabio, lui, a un nouveau copain. II profite pleinement des prémices de sa nouvelle relation
qui va, selon toutes vraisemblances, durer très peu de temps parce que Monsieur a la fâcheuse habitude de très vite se lasser... Quoi qu'il en soit, ces derniers temps, il me manque atrocement. Je reste nostalgique de l'époque où il n'y avait que nous trois.
Pour clore définitivement le sujet "Antoine et détendre l'atmosphère pesante, je regarde mon amie, puis lance :
- À ton avis, combien de jours reste-t-il avant que Fabio ne s'ennuie avec celui-là ?
Elle me regarde intensément avant d'éclater de rire... et manque de s'étrangler en avalant
de travers sa gorgée de café. Mes paroles ont fait mouche, elle sait que je vais tout faire pour oublier ce salop et reprendre du poil de la bête. Après tout, il en faut plus pour m'achever et si Monsieur préfère les nanas aux gros nibards, eh bien, il s'est lourdement trompé. J'ai peut-être des petits seins, mais je suis fière de clamer que, chez moi, tout est vrai. Mes longs cheveux ondulés sont naturellement blonds. Je peux me vanter d'avoir les yeux bleus, la peau pâle garantie sans UV et de nombreuses taches de rousseur sur tout le corps que je ne gommerais pour rien au monde. Je ne suis peut-être pas comme les standards des magazines, mais je suis moi et je refuse de leur ressembler, surtout pour plaire à un mec qui est loin d'être un canon de beauté et qui, en plus, en a une toute petite. Oui, je voue un culte immodere aux chaussures... et ce ne serait certainement pas si grave si je n'avais pas également une passion démesurée pour les sacs à main. Je ne regarde jamais mon compte bancaire qui, soyons honnêtes, est très souvent dans le rouge... Je ne suis pas non plus une fanatique du ménage, et alors ? Je trouve qu'il y a pire comme défauts et gare à celui qui me dira le contraire. Je mords !
Nous échangeons ainsi une bonne partie de la soirée, en rigolant et surtout en enchaînant
les cafés, poussées par l'odeur alléchante du fameux nectar et des cakes, tous très réputés à cette adresse.
Plus tard, nous prenons le chemin du retour tout en espérant que Fabio ne sera pas à
l'appartement avec sa conquête du moment, parce que je garde un très mauvais souvenir de la nuit dernière... Son compagnon est très expressif !!!
En rentrant, c'est un tout autre tableau que nous découvrons.
Plongé dans le noir total, James Blunt hurle à plein volume dans le salon Good bye my lover
tandis que Fabio l'écoute en sanglotant, recroquevillé sur le canapé, un paquet de mouchoirs quasiment vide à la main.
Notre ami n'a jamais été très sensible, surtout en amour. Ce qui ne peut signifier qu'une
chose : cette fois-ci, c'est lui qui s'est fait jeter. Ah ah, je l'adore, mais sur le moment, je ne peux m'empêcher de penser que c'est l'arroseur arrosé. Il va véritablement prendre la mesure de ce qu'il aime infliger aux autres. Je ne suis pas méchante, c'est juste que je sais pertinemment qu'il n'y avait rien entre eux et qu'il réagit simplement au contrecoup. Et puis, cela ne fera pas de mal à son égo d'être pour une fois un petit peu malmené. C'est un honnête retour de bâton ! Sa suffisance, sa prétention, son charme... C'est aussi pour cela que nous l'aimons, parce que dans ces moments précis, il est tellement lui.
Pour détendre l'atmosphère, je décide de changer de musique et lance Be Mine d'Ofenbach
tandis que Susie se dirige dans la cuisine. Elle nous verse trois verres de Chardonnay. La bonne humeur de notre ami reprend ainsi rapidement le dessus.
Durant une bonne partie de la nuit, nous débattons des hommes, de nos vies respectives,
de la mode... pour finir par parler Vaudou. Puis, une chose en entraînant une autre, Fabio se retrouve à faire des recherches sur internet à propos de cette magie. Nous finissons par tenter de confectionner une poupée à l'effigie d'Antoine, mais tout dérape lorsque mes amis commencent à se chamailler sur la couleur du tissu à choisir, avant de se mettre à parler de la forme des boutons à utiliser... Je vois rouge, finis par la leur arracher des mains et la jeter sans ménagement à travers la fenêtre devant leurs regards consternes.
Il me suffit alors de simplement déboucher une deuxième bouteille, de commencer à me
déhancher pour leur faire oublier notre expérience et rétablir la bonne ambiance. Une chose est sûre : je suis peut-être en tête du palmarès en matière de vie insignifiante, mais sur l'instant, je m'en contrefous parce que voilà une soirée comme je les aime : simple, totalement bourrée et profitant de la compagnie exclusive de mes amis.
Fabio dort depuis une heure sur le canapé quand nous décidons, Susie et moi, d'aller nous
coucher pour être suffisamment en forme le lendemain et assurer nos derniers cours. Une fois dans ma chambre, je m'empresse d'ôter les escarpins noirs Valentino, honteusement talonnés, que j'ai dénichés dans un petit dépôt-vente dont j'ai le secret. Susie m'a presque forcée à les porter. Elle a tellement insisté pour que je mette une tenue « correcte » que j'ai fini par lui faire plaisir en troquant mon pyjama licorne contre un jean moulant, un simple tee-shirt blanc et ma veste fétiche en cuir noir.
Mes chaussures se suffisant à elles-mêmes, je n'ai pas eu besoin d'autre artifice, et pour être honnête, ni l'envie de faire de plus gros efforts.
Vaseuse, je me déshabille rapidement. Je file sous la couette sans même me démaquiller,
ne manquant pas au passage de jeter un œil sur mon travail laissé en plan sur ma table - comme me l'a si bien rappelé mon amie. Il y a des croquis, beaucoup de croquis et tous du même dessin... Quand je pense que tout est parti d'une robe esquissée sur un coin de nappe lors de notre dernière sortie au restaurant, seulement quelques jours avant notre rupture... À ce moment, j'étais à mille lieues d'imaginer ce qui allait me tomber dessus... Je chasse vite ces images de ma tête, ne souhaitant plus y repenser.
Dès l'instant où mon corps entre en contact avec mon lit, je commence aussitôt à sombrer.