Chapitre 02
Chapitre 2
J’ai la folle idée de me cacher derrière Fatima, mais à quoi ça me servirait ? Une fois assise c’est sûr qu’il me verra.
Je baisse la tête autant que je peux mais je remarque qu’il y a peu de chance qu’il me voit marcher. Il est bien trop concentré sur le cahier de texte.
Je prends place en faisant le maximum de ne rien laisser paraître.
Mon cœur est en train de battre tellement fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma cage thoracique.
Putain de merde, j’ai partagé mon premier baiser avec mon prof. Pour ma défense, je savais pas qu’il l’était.
Mais comment aurais-je pu savoir ? Il est nouveau et pas une seule fois, on a parlé de son travail. J’aurais dû lui poser la question. Il m’aurait sans doute dit qu’il était professeur et j’aurai su qu’il était dans mon lycée.
Il se lève pour mettre son nom de famille au tableau.
Mercredi aucun d’entre nous n’avait dit son nom de famille. Son nom complet est donc Abdou Aziz Diaw.
Il commence à se plaindre du comportement des élèves de S pour les matières littéraires. Il menace de ne pas laisser passer certains comportements et aucune absence ne sera tolérée.
En parlant il défile son regard sur les différents élèves de la classe. Arriver à mon niveau, son expression se fige automatiquement. Le contraire m’aurait étonné. Il ne pouvait pas ne pas me reconnaitre. On s’est vu il y a 5 jours ce qui rend tout oubli impossible. Et ce n’est pas comme si j’avais changé de coiffure et même je n’aurai pas changé pour autant.
J’ai baissé mon regard quand nos yeux se sont croisés. Mais durant cette fraction de seconde j’ai pu lire le choc dans ses yeux. Être son élève devait être la dernière chose à laquelle, il s’attendait. Surtout que je lui ai dit que je travaillais. Chose qui n’est pas faux.
Le choc était tel qu’il en a perdu le fil de ses mots mais il s’est repris assez vite l’air de rien. Il se devait de ne pas montrer qu’on se connaissait d’une façon ou d’une autre.
Il parle des différentes œuvres du programme français de terminale, de sa méthode pédagogique, du fait qu’il aime bien les exposés et sans doute qu’il nous demandera d’en faire.
J’ai déjà commencé à lire certaines. Notre voisine a une classe de plus que moi et m’a toujours passé ces anciens livres. Autant que je prie pour avoir de bonnes notes, j’ai toujours autant prié pour que Sokhna ne redouble jamais.
*****
Quand il est sorti, j’ai eu l’impression que les deux heures de ce cours étaient interminables. J’avais l’impression d’étouffer. Je me sentais mal d’avoir menti et j’étais sûre qu’il connaissait mon âge maintenant. Les dates de naissance des élèves se trouvant sur la feuille de présence.
Je peux m’imaginer qu’il regrette ce qui s’est passé. S’il savait je n’avais pas encore 18 ans, il ne m’aurait jamais embrassé.
J’essaie de me rassurer en me disant que c’était juste un baiser et qu’il n’y a pas de quoi faire un procès.
-Quelque chose te contrarie ? Demande Fatima juste au moment où je remarque avoir la tête entre mes mains.
-Non ça va. Un peu mal à la tête.
-J’ai vu que t’avais rien noté durant que le prof parlait. Chose qui est bizarre venant de toi.
-C’est juste de la fatigue.
-C’est la rentrée et t’es déjà fatiguée.
-Te fatigue pas, on connait déjà sa stratégie, intervient Val. Elle dit être fatiguée mais ça ne l’empêche pas d’avoir la meilleure note.
J’ignore ce qu’elles se disent jusqu’à ce que j’entende Fatima dire :
-Prof français bi fouyna dei (Il est effronté).
-Laisse tomber, il peut s’estimer heureux qu’on ait SVT après ce qui fait que tout le monde fera son cours. Personne n’ose fuir les cours de sciences, répond Val.
-Il est quand même beau, dit Hawa.
-Ayyy Hawa, crie Fatima. Tu t’intéresses aux profs maintenant.
-Je n’ai pas dit qu’il m’intéressait, c’était juste un constat. A moins que vous ayez de la merde dans les yeux vous avez également dû remarquer.
Je lance un soupir juste avant l’arrivée de monsieur Ndiaye et tout le monde se concentra sur lui.
******
Avez-vous déjà vécu pareille situation ?
Je veux dire avoir quelque chose grand comme le monde qui nous angoisse mais nulle part pour en parler.
Je ne peux en parler avec aucune de mes amies, elles sont toutes mes camarades de classe ce qui fait d’elles des élèves de l’autre principal concerné.
A mes sœurs jamais, je les vois déjà tout dire à grand-mère qui a déjà assez à faire avec sa maladie.
Le prochain cours de français est jeudi. Autant je compte les heures pour le revoir, autant j’ai peur de le revoir. Ma tête est devenue un champ de bataille émotionnel et j’ignore s’il y aura une issu. Bref, je ne sais pas ce que je veux.
Quant à ma concentration, elle sera mise à rude épreuve, plus qu’elle ne l’a jamais été. Je faisais tout mon possible pour ne pas penser à lui ces derniers jours mais plus je ne me l’interdisais et plus il était présent. Me disant que j’allais plus le revoir devait faciliter les choses mais dès l’instant que c’était difficile à ce moment-là, c’est pire aujourd’hui que je sais que je partagerai la même pièce que lui au moins 2 fois par semaine sans compter les possibilités de se croiser dans la cour.
Au boulot, ça va beaucoup mieux. Puisque les clients viennent à la chaîne, je n’ai pas le temps de penser à monsieur « beau sourire ».
Abdou vient jusqu’à moi, il est mon voisin et fait partie des habitués. Avec lui c’est toujours un sandwich brochette de 1000frs.
-Comme d’habitude, lui souris-je quand il me tend le billet de 1000frs.
-On ne change pas une équipe qui gagne…Rétorque-t-il tout en sourire.
J’encaisse et je lui donne son ticket qu’il va remettre au cuisinier.
Avant de revenir à moi pour me faire la conversation attendant sa commande.
-Alors ça va ?
-Oui ça va…
-Vous avez repris les cours hier, je crois.
-Oui.
-Pas trop fatiguée.
-Les débuts sont toujours difficiles avec les vacances, on perd les bonnes habitudes.
-J’imagine. C’est dommage que tu sois obligée de travailler. Surtout que, il s’exprime avant de marquer une pause, c’est bien cette année que tu fais le bac.
-Oui, ne nous oubliez pas dans vos prières.
-Non, t’inquiète. Au risque de me répéter, c’est dommage.
-Je peux pas dormir et laisser mes sœurs travailler. Grand-mère a déjà fait tout ce qu’elle a pu. Les frais ne peuvent pas se régler tout seul. Et je ne suis pas vraiment à plaindre, j’ai la chance de vivre chez mon oncle, il s’arrange pour la dépense quotidienne.
-Et ta mère ?
-Je peux pas compter sur une personne que je ne vois pas plus de 2 fois par an. Elle est bien là où elle est.
On lui tend sa commande, ce qui coupe court à cette conversation. Je la sentais venir la question sur mon père et franchement je n’ai aucune envie de parler de lui.
-En tout cas si tu as besoin de quelque chose, tu peux compter sur moi.
Je le remercie avant qu’il s’en aille. Il m’a déjà dragué et j’ai préféré le mettre dans la brozone. Il s’y est pris à une époque où je considérais les hommes comme de la distraction mais même si je m’autorisais à avoir des copains, j’allais jamais m’engager dans une relation avec un voisin. Ce sera la meilleure façon de me faire tuer par mon oncle.
*****
C’est jeudi, comme vous avez dû le deviner, nous avons français les lundis et jeudis.
Je vous mentirai si je vous disais que j’ai pu me concentrer sur les mots des profs. J’ai l’impression d’être ailleurs tout le temps et le silence cathédral de mes camarades ne m’aident pas.
Malheureusement, les profs n’y vont pas doucement. Ce qui est normal, nous sommes en terminale, le bac nous attend. Ils ont un programme à finir. S’ils y faillissent nous serons les premiers à les critiquer.
En parlant de mes camarades, peut-être que c’est la maturité ou juste la rentrée. Ça m’étonne que même les grands gaillards qui se font un plaisir de perturber la classe sont devenus sages. Si c’est pour la rentrée, ça risque de pas durer et certains vont encore se faire virer des cours.
Aujourd’hui à l’heure de pause, je ne suis pas sortie. J’ai préparé ce que je mange à midi. Ce qui me donne une heure pour faire les exos de maths à rendre demain.
-Ay diank, fougne la fek yagui tothie (Toujours en train de faire des exos), s’exprime Fatima me sortant de ma rêverie, j’avais même pas remarqué qu’elles étaient de retour.
-Série S et faire des exos vont de paires. Quand vous allez rentrer vous aurez tous la possibilité de vous y mettre. Je n’ai pas cette chance.
-C’est pas notre faute si tu travailles.
-Pourquoi cette réponse ?
-Peut-être parce que cette phrase sonnait comme un reproche.
-T’es complétement folle. Il reste 15mn avant le prochain cours, merci de me laisser finir.
Au moins elle a assez de considération pour me donner ce que je lui ai demandé. Elle a lancé une conversation avec Hawa que je préfère ignorer en me concentrant sur ce que je suis en train de faire.
*****
Le prof de PC vient juste de sortir, je range le cahier de son cours pour sortir celui de français. Mon cœur bat de façon inconditionnelle. J’ignore ce que c’est, de la peur, du stress, de l’excitation car je sais que je vais le revoir.
C’est ça l’amour ? J’espère pas. Je ne peux être amoureuse de mon prof. J’ose espérer que c’est juste la culpabilité qui est en train de me ronger. Ça peut expliquer pas mal de choses.
-Bonsoir, dit-il en entrant dans la salle. Je me surprends à le regarder plus qu’il ne devait être autorisé à une élève de regarder son professeur. Il est vêtu d’un Lacoste bleu ciel accompagné d’un jean noir et des chaussures noires. Sa montre accompagne comme toujours sa poignée gauche.
J’essaie de me ressaisir en laissant mon regard dans le vide. Je serai animée d’un profond sentiment de honte s’il me surprenait en train de le regarder.
Il décide de faire l’appel, il ne l’avait pas fait lundi. Je comprends facilement que c’est pour pouvoir mettre un visage sur chaque nom. Puisqu’il regarde chaque personne disant « présent ».
D’habitude nos profs ne se fatiguent pas trop à faire l’appel.
Les rares fois qu’ils le font c’est quand ils viennent et voient qu’il y a énormément d’absents.
-Azizatou Tall.
-Présente, je réponds en remarquant qu’il n’a pas eu besoin de me chercher. Azizatou étant un prénom pas assez commun à Dakar, je suis la seule à m’appeler ainsi dans cette classe.
Je remarque aussi qu’il pose son regard quelques secondes supplémentaires sur moi par rapport aux autres avant de dire :
-Votre professeur de l’année passée m’a donné votre nom pour le concours général. Il faudra qu’on en parle après le cours. Je vous demanderai d’attendre.
Après ces phrases il passe au nom suivant sur la liste.
Quant à moi, là c’est sûr à 100% que ce que je ressens est de la peur.
Concours général ? Quel concours général ?
Les élèves de S font-ils des concours de Français ?
Une partie de moi espère que ce n’est pas une coïncidence et qu’il ne me demande pas d’attendre pour parler d’un concours. De toute façon, je le saurai dans moins de deux heures.
J’essaie de me concentrer sur ce qu’il est en train de dire à savoir les débuts de la littérature française du 20e siècle. Et j’essaie d’oublier ce dont on va parler.
Quand il fait son cours il est tellement sérieux que j’ai du mal à me dire qu’il s’agit de l’homme que j’ai rencontré mercredi. Le même homme qui faisait des blagues complétement pourries. J’espère que c’est juste temporaire. C’est la rentrée et c’est un nouveau. Peut-être qu’avec le temps il mettra de l’eau dans son vin.
******
Quand l’horloge affichait 17h, le cours finissait et je suis en train d’attendre que la classe se vide avant de le rejoindre à son bureau.
Je me suis avancée jusqu’à lui. La table nous sépare.
Je l’entends faire un rire nerveux.
-Ya nek ni (C’est bien toi), lance-t-il.
Je ne trouve rien d’autres à dire.
-Il faut qu’on parle, enchaîne-t-il.
-Du concours ?
-Pas du concours, les concours ne sont pas pour maintenant et je n’ai parlé avec aucun de tes profs de toi. Ce n’était qu’un prétexte pour que je puisse te parler sans que ça paraisse suspect.
Je l’entends murmurer des jurons mais pas assez fort pour que je puisse savoir ce qu’il est en train de dire.
-Bordel, ça doit forcément être le Karma.
-Karma ?
-Oui, cette chose qui nous revienne en pleine gueule. Il faut qu’on parle. Ailleurs pas ici, je vois déjà que tes amies sont en train de t’attendre et qu’on commence à durer. Dis-moi où et quand, je t’y rejoindrai.
-Mais je ne peux pas.
-Il va rien se passer. Je veux juste qu’on en parle. Si tu ne trouves pas cette situation bizarre, moi je la trouve très bizarre.
-Mais j’ai pas le temps. Je vous avais dit que… Il me coupe automatiquement.
-Merci de ne pas me vouvoyer quand on est seul après ce qui s’est passé.
Je lâche un soupir avant de continuer.
-Je t’avais dit que je travaillais.
-Je dois t’avouer que quand j’ai su que tu n’avais que 17 ans et que tu étais au lycée, j’ai eu beaucoup de mal à distinguer le vrai du faux de ce que tu m’as dit.
La honte pouvait se ressentir à des kilomètres. J’essaie de me ressaisir tant bien que mal.
-Après les cours, je dois me rendre au fast-food de Bathie pour travailler.
-Le fast-food de Bathie, ce n’est pas le même qui est en face de la boutique Orange.
-Oui c’est celui-là.
-Je t’y rejoindrai ce soir alors.
-Non, non c’est pas possible.
-Azizatou, s’il te plait. Ça fait des minutes qu’on discute et c’est sûr que l’école est en train de se vider. En plus normalement j’ai pas le droit de me retrouver seul dans une classe avec toi.
Je le regarde l’air ahuri ne comprenant pas cette histoire de droit. C’est quoi ça ?
Il réussit quand même à répondre à ma question silencieuse.
-Un professeur n’a pas le droit de se retrouver seul dans une salle de classe avec un élève de sexe opposé. Il doit avoir une troisième personne avec nous. Je sais où tu travailles je t’y rejoindrai. J’ai besoin de te parler.
Je veux pas qu’il me rejoigne au fast-food.
Je finis par avoir une idée vite fait.
-Je peux te rejoindre dimanche là où tu m’avais déposé.
-Heure ?
-17h ça doit être bon.
-Tu vois que tu peux quand tu veux.
Après ces mots je sors de la salle de classe.
Je vois que les filles m’attendent encore.
-T’as duré hein, dit Val.
-Il voulait avoir certains renseignements et c’était compliqué.
-Renseignement de quoi ? Demande Hawa.
-Pour que je puisse participer au concours. Rien de bien important.
-Je vois, finit-elle quand on sort du lycée.
*****
Si je n’ai pas voulu qu’il me rejoigne à mon lieu de travail, c’était pour éviter une situation embarrassante. Il ne doit pas s’en douter mais dans notre clientèle se trouve également des élèves du lycée. Même certains de mes camarades de classe. C’est évident que quand on habite à côté d’un fast-food si on a envie de se procurer certaines choses, c’est là-bas qu’on se rend.
Actuellement je suis en train de penser à une excuse à donner à grand-mère pour qu’elle me laisse sortir ce soir sans poser de questions. Elle sait que je ne travaille pas les dimanches, c’est l’inconvénient de ne pas avoir des jours de roulement, on ne peut pas prétexter le boulot pour faire certaines choses.
Je finis par trouver quelque chose.
Elle est toujours couchée. Sa maladie ne la laisse pas faire grand-chose. Le pire est que personne ne sait ce qu’elle a. Pour certains ce sont les conséquences de travailler à un certain âge. Je me sens mal, quand je me dis qu’il fort probable que tout ceci soit dû au fait que notre éducation lui a été confiée.
-Euhhh, mame, je dois aller chez Fatima. On a un exercice de philo et j’ai besoin d’un ordinateur pour ça.
-D’accord, se contente-t-elle de répondre.
Je ne pouvais pas avoir d’autres réponses. Les études ont une grande importance pour grand-mère. Tant que c’est pour les études, on peut faire ce qu’on veut.
Je me prépare et pour une fois je décide de faire l’effort de mettre un peu de maquillage. D’habitude je n’en mets que pour les cérémonies. Chose que Toulaye n’hésite pas à remarquer.
-Tu te maquilles pour aller voir Fatima, dit-avec un air de « je ne suis pas convaincue par cette histoire »
-Peut être que j’y vais pour draguer son frère. Il est plutôt mignon.
Toulaye éclate de rire.
Si j’étais en mode « de quoi, tu parles » ça l’aurait juste donné l’occasion d’enfoncer les clous, afin de mettre un doute dans l’esprit de grand-mère qui même couchée peut nous entendre.
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Je suis assez contente de ma tenue. Je suis vêtue d’un jean avec mon haut préféré. Celui qui me va trop bien.
Je marche vers le lieu de rendez-vous. Je vois qu’il est déjà en train de m’attendre.
Je regarde ma montre, je ne suis pas en retard, c’est lui qui est en avance.
Quand je suis entrée dans sa voiture et que nos regards se sont croisés, tout ce que j’ai de féminité en moi s’est instantanément allumé.
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