Le poids de l'inconnu

**Chapitre 6 : Le Poids de l'Inconnu**

Le café était petit, chaleureux, presque intime. L’ambiance était calme, comme si le temps lui-même ralentissait pour offrir une pause bienvenue aux âmes fatiguées qui se retrouvaient là. Emma s’installa en face de Gabriel, un léger malaise l’envahissant. Ce n’était pas tant la compagnie de l’homme qui la perturbait, mais plutôt le fait qu’elle n’avait pas partagé une conversation aussi fluide depuis longtemps. Elle était habituée à parler de ses enfants, de son travail, de ses défis quotidiens, mais parler d’elle-même, de ses blessures intérieures, de son passé… c’était une toute autre histoire.

Gabriel, quant à lui, semblait décontracté. Il était un homme d’une trentaine d’années, avec une prestance calme et une aura rassurante. Il n’avait pas l’air pressé, ni curieux de savoir ce qui l’avait poussé à accepter un café avec une inconnue. Il était simplement là, dans l’instant, comme s’il était prêt à entendre ce qu’Emma avait à dire, ou simplement à ne rien dire du tout, si c’était ce qu’elle préférait.

Ils commandèrent leurs boissons. Un café noir pour Emma, et un thé vert pour Gabriel. Le serveur posa les tasses sur la table, et un silence s’installa pendant quelques instants. Emma prit une gorgée, sentant la chaleur de la boisson se répandre dans son estomac. Elle observa Gabriel, se demandant ce qui le poussait à lui accorder cette attention. Il n’était pas du genre à faire preuve de pitié, et elle n’aimait pas l’idée qu’il puisse la regarder avec cette compassion maladroite. Elle préférait qu’on la voit pour ce qu’elle était aujourd’hui, pas pour son passé brisé.

Finalement, Gabriel brisa le silence. « Vous êtes différente de ce à quoi je m’attendais, » dit-il doucement. « Vous avez cette manière de vous cacher derrière vos mots, mais il y a aussi quelque chose de très solide en vous. »

Emma le regarda, un peu surprise par sa remarque. « Je suis juste… une mère, » répondit-elle lentement. « Une mère qui a dû se battre pour retrouver un semblant de vie. »

Gabriel hocha la tête, comme s’il comprenait parfaitement ce qu’elle ressentait. « J’ai l’impression que vous avez traversé des épreuves qui vous ont forgée. » Il marqua une pause. « Mais vous avez l’air de tenir le cap. »

Emma baissa les yeux sur sa tasse, le cœur battant plus fort qu’elle ne l’aurait voulu. La vérité, c’était qu’elle ne savait même pas si elle tenait réellement le cap. Chaque jour, elle se forçait à avancer, mais derrière ce masque de force se cachait une femme qui doutait encore de son propre pouvoir de résilience. Mais peut-être que Gabriel avait raison. Peut-être qu’elle avait une force intérieure qu’elle n’avait pas encore appris à reconnaître.

Elle releva finalement les yeux vers lui, son regard plus franc cette fois. « Je n’ai jamais cherché à être forte, » dit-elle doucement. « J’ai juste fait ce que je devais faire pour survivre. »

Il la fixa longuement, un sourire discret apparaissant sur ses lèvres. « Peut-être, mais la survie est aussi une forme de force. Vous avez su vous relever, même quand le sol vous a été arraché sous les pieds. »

Emma sentit un léger frisson lui parcourir l’échine. C’était étrange, cette conversation. Elle n’avait pas l’habitude de parler de son passé de cette manière, comme si les mots avaient enfin trouvé une forme de liberté. C’était presque apaisant, en un sens.

Gabriel prit une gorgée de son thé et se pencha légèrement en avant. « Vous avez beaucoup de courage, Emma, même si vous ne le réalisez pas. Mais je pense qu’il est temps pour vous de penser à vous, à ce que vous voulez vraiment. Pas ce que vous devez faire, mais ce que vous méritez. »

Elle le regarda, son cœur battant fort dans sa poitrine. Comment pouvait-il savoir ce qu’elle méritait ? Comment pouvait-il comprendre ce qu’elle avait vécu ? Ses enfants, son mari, tout ce qu’elle avait perdu… Elle était loin de se sentir comme une femme méritant quoi que ce soit.

Mais il ne semblait pas juger. Il ne semblait pas non plus chercher à lui imposer une vision de sa vie. Il semblait simplement là, présent, prêt à l’écouter.

Emma soupira, puis laissa échapper une phrase qu’elle n’aurait jamais cru prononcer : « J’ai peur. »

Gabriel ne réagit pas immédiatement, mais son regard se fit plus doux, comme s’il comprenait. « Peur de quoi ? »

« Peur de recommencer, peur d’être déçue encore, » répondit-elle, sa voix se brisant légèrement. « Peur de me retrouver encore seule. »

Il lui adressa un sourire rassurant. « Parfois, il faut faire face à la peur pour la surmonter. Mais vous n’êtes pas seule, Emma. Vous êtes plus forte que vous ne le croyez. Et je pense que vous êtes prête pour quelque chose de nouveau, quelque chose de différent. »

Elle prit un moment pour réfléchir à ses paroles. Peut-être avait-il raison. Peut-être qu’il était temps pour elle d’accepter de se reconstruire. Pas juste de survivre, mais de vivre pleinement. Pas juste pour ses enfants, mais aussi pour elle-même. Peut-être qu’il était temps d’accepter que la douleur faisait partie de l’histoire, mais ne devait pas définir l’avenir.

Elle sourit, un sourire timide, mais sincère. « Je vais essayer, » murmura-t-elle. « Peut-être que je suis prête. »

Leurs regards se croisèrent, et dans l’instant, Emma sentit qu’un petit poids s’enlevait de ses épaules. Ce n’était pas la solution à tous ses problèmes, mais c’était un début. Un petit pas vers la guérison.

---

Les jours suivants, Emma se sentit différente. Le travail devenait de plus en plus familier, et elle commençait à se faire une place parmi ses collègues. Elle se rendait compte qu’elle ne pouvait pas changer le passé, mais qu’elle avait la capacité de façonner son avenir. Chaque petite victoire la rapprochait un peu plus de la femme qu’elle voulait devenir, même si cette femme semblait encore un peu lointaine.

Elle croisait souvent Gabriel dans le quartier, et chaque rencontre semblait lui apporter un peu plus de clarté. Ils discutaient de tout et de rien, et petit à petit, une complicité naturelle naissait entre eux. Il ne la pressait pas, ne lui faisait pas de promesses. Il était simplement là, un soutien discret mais constant. Emma commença à se demander si, peut-être, la vie avait encore de belles choses à lui offrir.

Mais pour l’instant, elle se concentrait sur l’essentiel : ses enfants. Elle n’avait pas perdu de vue son objectif principal : les récupérer. C’était la seule chose qui comptait vraiment. Mais, en attendant, elle savourait ces petites fenêtres de tranquillité, ces moments de calme où elle pouvait respirer sans être accablée par le poids du passé.

La route vers la guérison était encore longue, mais pour la première fois depuis longtemps, Emma sentait qu’elle avançait dans la bonne direction. Elle était prête à prendre des risques, à ouvrir son cœur à de nouvelles possibilités. Et peut-être, juste peut-être, à redécouvrir ce qu’était l’amour.