chapitre 7
Chapitre 7
La lumière passait sous la porte, fine comme un fil d’araignée. Tout le monde devait dormir à cette heure. Mais pas lui. Il n’était jamais vraiment hors service, comme une machine qui refusait de se taire. Irina n’avait pas prévu d’espionner, juste de chercher un verre d’eau pour calmer l’agitation qui l’empêchait de trouver le sommeil.
Elle hésita devant la porte du bureau. Entrer ou non ? Elle n’avait pas le droit d’être là, il avait été clair sur ce point. Cet espace, ce monde, tout ce qu’il touchait ici lui appartenait et à lui seul. Mais quelque chose, une intuition déraisonnable, la poussa à tourner la poignée.
Il était là, dos à elle, assis à son bureau comme une statue prise dans la lumière tamisée d’une lampe. La chemise légèrement ouverte, les manches relevées, il semblait vulnérable pour une fois, ou du moins fatigué. Sur le bois sombre, une photo, une image qu’il fixait comme si elle allait lui parler.
— Vous avez toujours cet air dramatique, ou c’est juste pour impressionner ? lâcha-t-elle, regrettant aussitôt ses mots.
Il ne bougea pas tout de suite. Puis, lentement, il posa la photo sur le bureau, mais ne se retourna pas.
— Tu cherches à briser une autre règle, Irina ?
Elle avança de quelques pas, la gorge serrée, mais décidée.
— Ce n’est pas une règle. C’est juste toi qui veux garder tout le monde à distance.
Il tourna enfin la tête, son regard cloué au sien, tranchant.
— Et alors ? Tu crois que tu fais exception ?
Elle haussa les épaules, tentant de masquer l’effet qu’il lui faisait.
— Peut-être. Après tout, je suis censée être ta femme, non ?
Un rictus s’étira sur son visage, sans chaleur.
— Sauf que ce n’est qu’un contrat, pas une invitation à fouiller dans ma vie.
Elle ignora l’avertissement, ses yeux glissant vers la photo sur le bureau. Une femme. Belle, rayonnante. Le genre de sourire qui reste en mémoire, même après des années.
— C’est elle ? demanda-t-elle, avec une pointe d’audace.
— Ça ne te regarde pas, répondit-il, glacial.
Elle sentit la colère monter, un feu qu’elle n’arrivait pas à éteindre.
— Tu fais tout pour que personne ne sache qui tu es vraiment. C’est épuisant, Xander. Même pour toi, j’imagine.
Il se leva si brusquement que la chaise grinça. Il était proche, trop proche. Son regard brûlait, mais elle ne recula pas.
— Écoute-moi bien. Tu n’as aucune idée de qui je suis ou de ce que je porte. Alors reste à ta place.
Elle planta ses yeux dans les siens, refusant de céder, malgré le frisson glacé qui lui courait dans le dos.
— Peut-être que je ne veux pas rester à ma place. Peut-être que je veux comprendre pourquoi tu passes ton temps à jouer au monstre.
Un silence, lourd, chargé d’électricité. Il la fixait comme s’il pesait ses options. L’écraser avec des mots ou laisser tomber. Finalement, il éclata de rire, un rire amer, presque douloureux.
— Monstre ? Tu n’as aucune idée. Tu es tellement naïve.
Elle serra les poings, mais sa voix ne trembla pas.
— Alors explique-moi. Fais-moi comprendre.
Il soupira, passa une main dans ses cheveux, l’air de chercher une issue. Mais il n’y avait nulle part où fuir. Pas avec elle, pas ce soir.
— Tu veux vraiment savoir ? demanda-t-il enfin, son ton plus bas, plus grave.
Elle hocha la tête, son cœur battant à tout rompre.
— Oui.
Il retourna au bureau, ramassa la photo et la tint devant elle.
— Elle s’appelait Natalia. Ma mère.
Le souffle d’Irina se coupa, mais elle resta immobile, à l’écoute.
— Elle était parfaite, continua-t-il, presque pour lui-même. Trop parfaite pour ce monde. Et elle a payé pour ça.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? murmura-t-elle, oubliant sa propre colère.
Il posa la photo, cette fois avec plus de soin. Ses mains tremblaient légèrement, une première qu’elle remarqua.
— Elle a été tuée. Par des gens qui voulaient m’atteindre, moi, alors que je n’étais qu’un gamin.
Un silence de plomb s’abattit entre eux. Irina chercha quoi dire, mais aucun mot ne semblait convenir.
— C’est pour ça que tu refuses de laisser entrer qui que ce soit ? demanda-t-elle finalement.
Il éclata de rire, mais cette fois sans aucune joie.
— Non, Irina. Je refuse parce que je sais que ce monde détruit tout. Que ce soit ma mère, toi ou n’importe qui.
Elle le regarda, voyant pour la première fois autre chose qu’un mur de froideur. Une blessure, profonde et béante.
— Tu penses que ça te protège, mais en réalité, ça te détruit, dit-elle doucement.
Il releva les yeux vers elle, surpris par la douceur de son ton.
— Et qu’est-ce que tu comptes faire ? Me sauver ? Tu n’as pas signé pour ça.
Elle sourit, un sourire triste mais sincère.
— Peut-être pas. Mais je suis là, non ?
Une tension naquit entre eux, palpable, électrique. Pas de colère, pas cette fois. Quelque chose d’autre, plus complexe, plus dangereux. Il fit un pas vers elle, et elle sentit son souffle, chaud, irrégulier.
— Irina, murmura-t-il, presque à contrecœur.
Elle ne bougea pas, son regard ancré au sien.
— Oui ?
Mais il recula brusquement, brisant le moment.
— Va te coucher. On a tous les deux assez donné pour ce soir.
Elle hésita, mais finit par obéir, le laissant seul avec ses démons. Pourtant, quelque chose avait changé. Pas beaucoup, juste assez pour faire trembler les fondations.
