Monsieur et madame Ivanović (suite)
Je lis les mots de ma femme avec la joie au cœur, plis le papier et le porte à ma poche après avoir fait un bisou dessus. Puis je m'asseois déjeuner. Jade est arrivée avec Yeleen toute propre dans ses bras. Elle me sourit dès qu'elle me vit. Elle aime trop rire cette petite. Petite attention exclusive pour la famille à dire vrai.
- Donne la moi Jade. Je vais m'en occuper pendant que je suis encore là.
Elle me la tend et repart. Je l'allonge sur moi sur le dos en continuant à déjeuner. Je lui parle, lui fait des papouilles. Elle écoute. Ou du moins je crois qu'elle écoute car elle n'arrête pas d'agiter ses petites mains toutes frêles et de me montrer ses chicots ecartés.
- Tu veux manger avec papa, ma princesse ? Pa-pa. Tu dis pa-pa.
Elle agite ses mains par défaut de pouvoir répondre. Je ne sais pas ce que cela voudrait dire dans son language à elle. Je la regarde faire avec attention et lui donne des bisous en récompense. Elle glousse à chaque fois. Elle adore ça. Par moment je la fais planer comme l'avion. Ça aussi, elle adore. Ces petits moments avec elle, c'est le graal pour le père que je suis. Dommage que l'on ne puisse pas passer nos journées entières ensemble. Il y a aussi le boulot.
- Jade, viens récupérer Yeleen s'il te plaît. Je pars maintenant, je l'appelle lorsque je termine mon repas. Papa dois aller travailler mon poussin, je m'adresse à ma fille. On se dit à ce soir mon ange ? Oui ? Tu es d'accord ? On dit aurevoir papa.
Je lève sa petite main afin qu'elle fasse "bye bye". Elle ne voulait pas.
- Tu ne veux pas dire au revoir à papi ? Tu veux que je reste ?
- Brrrrr.
- Liyah !
Elle roucoule et me montre encore ses petites dents qui sortent à peine. Elle ne fait que ça cette petite. Jade arrive au même moment, récupère Yeleen de mes bras et je pars enfin travailler. Ma fille ne pleure pas quand on doit sortir sa mère et moi. C'est une grande comme le souligne souvent Alex.
En parlant d'Alex, je rejoins ce dernier au Heaven. On doit peaufiner les derniers détails à propos de ce qui s'est passé hier soir au bar. On doit s'assurer que la fille là garde sa bouche fermée. Si quelqu'un peut tout faire capoter, ce serait elle.
Quand je suis arrivé, il discutait déjà avec Amir. Je ne sais pas s'ils ont remarqué ma présence car ils ont continué la discussion au calme.
- Tu as compris Amir ?
- Oui. Que je ne sois pas trop pressé d'avouer et que je dois faire attention à ce que je vais dire quand je me déciderai à le faire. Et que je dois choisir qui doit être là.
- Bonjour à tous ! Je fis mon entrer.
- Ah ! Tu es là. Je disais à Amir...
- J'avais compris.
Je me tourne vers Amir.
- Tu peux nous laisser s'il te plaît ?
- Bien sur, Amir s'en va en grimaçant.
J'attends qu'Amir quitte la pièce pour parler avec lui.
- Tu peux me dire ce que tu fais Alex ?
- Comment ça ce que je fais ? Il répond comme si de rien n'était. Tu n'es pas arrivé à l'heure. Amir était là, je lui parle. C'est tout. Depuis quand cela devient un problème ?
- Tu es sur de toi ? Tu ne me cacherais rien par hasard ? Depuis un moment je t'observe. Tu restreins mes fonctions du groupe. Et ça tu le fais si bien que cela peut paraître comme si c'était juste occasionnel. Tu as une excuse à chaque fois. C'est quoi encore l'excuse pour cette fois ? Dis moi.
- Tu as une famille a protéger Milan. Ne l'oublie pas. Tu te dois d'être disponible pour elles. Les choses ne peuvent plus se faire comme avant. Tu devrais le savoir depuis là.
- Si je n'étais pas marié à ta sœur, tu aurais toujours procédé ainsi ?
- Peut être pas. Mais ça on ne le saura peut être jamais vu que TU as choisi ma sœur. Alors, on ne peut rien y faire Milan. Fallait pas épouser ma sœur.
Il me fournit tant d'explications. Rien de ce qu'il dit ne tienne la route. Et à chaque fois, il y a sa sœur au milieu. Et là je viens de faire le lien. Kyra a dû exposer ses peurs à son frère et ce dernier comme toujours se plie en quatres pour lui faire plaisir.
- Je comprends maintenant, je ris nerveusement. Elle t'en a parlé, c'est ça ? Elle t'en a fait part de ses craintes et toi pour la rassurer tu me mets à l'écart.
- ...
- Ah ok ! Je vois. C'est peut être ta sœur Alex, j'hausse le ton. Mais elle est MA femme. Notre relation, c'est elle et moi. Et de ce que je sais, cela n'a aucun impact sur mon travail. Elle n'a pas le droit de se mêler de ça. Et toi...
Fou de rage, je serre les poings.
- Elle est juste inquiète Milan. C'est assez compréhensible je crois. Si elle devrait représenter des clients dangereux, cela n'allait pas t'interpeller jusqu'à chercher à y mettre fin ?
- ...
- C'est parce qu'elle t'aime énormément qu'elle fait tout ça.
- Oh, mais elle va m'entendre, je grogne énervé. Je te jure qu'elle va m'entendre. C'est quoi ces foutaises ? Elle savait qui elle épousait.
Kyra Lexa Aaliyah IVANOVIĆ
Il est tout juste 11 heures du matin. Je reviens à peine du tribunal. Actuellement, je suis sur une affaire de viols sur mineure. Ma cliente a été séquestrée au préalable, enfermée puis abusée par une bande d'amis qui l'ont abandonné pour morte sous un pont après leur acte odieux. Heureusement pour elle, des passant qui allaient par là l'ont vue et l'ont amenée à l'hôpital où on l'a prise en charge les minutes qui ont suivies.
Un tel comportement me répugne. Cette histoire réveille en moi des mauvais souvenir que je m'étais efforcée d'oublier au fil du temps. La première fois que j'ai entendu la complainte de ma cliente, je me suis imaginée à sa place. Je sais que dans ce métier, ce n'est jamais bon quand on est trop empathique. Mais là, je n'ai pas pu m'en empêcher. Ce jour là, je m'en souviens comme si c'était hier. Si Milan arrivait juste une minute après, j'aurais pu moi aussi vivre pareille atrocités. Et tout ça me retourne les broyaux que des gens comme ça puisse exister encore et qu'ils courent dans nos rues.
Je partage le cabinet avec une collègue. Elle est beaucoup plus âgée que moi et exerce en droit des affaires. C'est une americaine et elle n'habite pas à Manchester mais Londres de préférence. Elle n'est là que les weekends et/où à l'extraordinaire. Elle m'a aidé à mettre sur place une organisation venant en aide au victime de viols. Son mari et elle font partis des donateurs les plus fidèles du centre en fait.
C'est d'ailleurs là bas que j'ai eu à croiser mon actuelle cliente. Au départ, elle m'a abordé timidement. Et m'a exposé son cas. Elle a juste 17 ans. C'est une très jolie jeune fille pleine de vie. A cet âge, on termine ses études, va à l'université. Alors qu'elle...
Suivant ce qu'elle m'a expliqué, elle vivrait avec sa grand mère paternelle dans une petite chambrette et il se trouve que celle ci soit aveugle. Pauvre petite. La vie n'a pas été tendre avec elle.
Actuellement ses agresseurs sont en détention provisoire en attendant le jugement. Ils étaient au nombre de 3 pour le faire. J'ai déjà donné ma parole à la petite. Ils ne s'en tireront pas. Pour moi c'est personnel. Je l'aime bien cette petite.
- Mel s'il te plaît, tu peux faire entrer la demoiselle dehors ?
Je scrute encore le dossier.
- Malia. Malia Turner est son nom.
- Je te l'envoie tout de suite, affirme Mélanie.
- Merci chère.
Elle est arrivé quelques minutes plus tard en avançant timidement vers moi.
- Prends place s'il te plaît. Tu vas bien ?
- Oui madame.
- Combien de fois t'ai je demandé de ne pas m'appeler madame Malia? J'ai juste 8 ans de plus que toi. Tu aurais pu être ma petite sœur.
Malia inclina sa tête.
- Je... je suis désolée.
- Ce n'est pas facile pour toi d'entendre ce que je m'apprête à te dire. Je compatis d'ailleurs. Mais il le faut. Tu dois savoir qu'on a pu trouver ceux qui t'ont fait ça ma belle. C'est pour ça que j'ai été au tribunal ce matin. Ils seront bientôt jugés. Tu n'as plus à avoir peur. D'accord ? Ils auront tous ce qu'ils méritent. Mais, il te faudra les identifier.
- Je le sais Lexa. C'est juste que parfois...
Voyant que c'était difficile pour elle de terminer, je lui ai pris les mains dans les miennes.
- Hey ! Garde ton calme ma belle. Tu es une fleur. Tu es une reine comme le dit ton prénom. Tu ne dois pas craquer maintenant ma belle. On est presqu'au bout. Juste le dernier round.
Malia se replia sur elle même.
- Cela se passe comment avec le psy que je t'ai recommandé ?
- Ça avance. Il m'a dit que je devrais commencer à essayer de m'exprimer mais sans trembler. Car je ne suis pas la responsable de ce qui s'est passé et que je ne suis pas la méchante dans l'histoire. Il m'a donné un exercice à faire chez moi et au prochain rendez vous, il verra à quel niveau j'ai avancé.
- Quoi donc comme exercice ?
- Il a dit que je devrais me tenir face à un miroir et me raconter à moi même ce qui s'est passé ce soir là. Et que je devrais le faire sans pleurer.
- Cest bien ma chérie. Essaie jusqu'à ce que tu y arrives. Ne te mets pas la pression mais fais le.
Suivant les dernières enquêtes faites à ce sujet, on s'est rendu compte que seules 16 % des victimes porteraient plainte, les autres gardant le silence. Par peur d'être jugé, rejetté, et même d'être ténu responsable de ce qui leur est arrivé.
Combien de fois n'ai je pas entendu dire d'une victime de viols que si elle ne s'habillait pas comme si ou ça, si elle n'avait pas accepter telle ou telle chose ça ne lui serait pas arrivé ? Comme ça, au lieu d'éduquer les hommes à respecter le corps d'une femme, à maîtriser leur pulsion, on cherche à les deresponsabiliser. Et regrettablement, au lieu de chercher à protéger les femmes, on les amène à culpabiliser.
La victime de viol est dans le silence et la mort, parce qu’elle est niée dans son humanité qui est celle du langage et de la parole. La négation de l’être s’accompagne de sa désertification par le langage. La victime ne peut plus parler parce qu’elle n’est pas reconnue par un autre comme être parlant a dit Liliane Daligand dans son livre intitulé Victimes et auteurs de violence sexuelle parue en 2016.
Ce qui, à mon humble avis est une vérité. Voyez vous, la violence se définit comme étant la négation de l’autre. Le bourreau ne reconnaît pas sa victime comme étant un être égal à lui même. Le narcissisme grandissant dans son imaginaire l'empêche de se faire une bonne représentation de l’autre. Ce phénomène est devenu très fréquent dans la vie quotidienne et est mis en scène de façon évidente dans toute agression sexuelle.
Toujours dans ce même ouvrage, l'auteur décrit l’agresseur par ces mots. Elle dit que l'agresseur par ses attitudes, ses coups, son langage réduit l’autre à n’être plus qu’une chose à posséder. L’autre, vide de son altérité, est plongée dans la sidération, le silence et la mort.
Je trouve que c'est vraiment dommage qu'en plein 21e siècle, certaines personnes n'arrivent pas à se respecter assez pour respecter la vie d'autrui. Parce que oui, la charité bien ordonnée commence par soi même. Il est difficile, voire même impossible que quelqu'un puisse aimer les autres sans s'aimer au préalable.
Je termine mon entretien avec Malia et je lui fixe un rendez-vous pour la semaine prochaine au procès. Ce serait douloureux, mais il le faut. Voir de ses propres yeux que justice a été faite pourra l'aider à avancer.
Je vais demander au psy qui la suit de la préparer d'avantage à faire face à ces pourritures qui l'ont agressé si lâchement. Je veux qu'elle soit prête pour le jour-j. Avec viols sur mineures, séquestration et tentative d'assassinat, ils en auront pour très longtemps. Je vais m'en assurer de cela. Et je tiens à ce qu'elle voit ça.
Le reste de la journée, je me suis penchée sur d'autre cas semblable à celui ci. Et vers 16 heures je rentre chez moi. Habituellement, c'est à cette heure que Jade dois partir. Si je vais tarder, je la préviens, elle reste et je lui ajoute un bonus. Sinon, je m'efforce d'arriver à temps pour la relever de ses fonctions.
Elle attend que je termine de me doucher, me dit aurevoir et s'en va. Je vais chercher ma fille qui jouait sur son petit matelas poser au salon. Je m'en approche, m'allonge à côté d'elle et lui parle comme si moi aussi j'étais un bébé.
- C'est qui la princesse de maman ? C'est qui, heinn, Yeleen ?
Yeleen gazouille.
- J'ai hâte que tu grandisses ma poupée pour que l'on puisse jouer tranquillement toutes les deux ma grande.
Elle me roule dessus en rigolant. C'est un jeu pour elle. Milan est entré au même moment. A première vue, il n'avait pas l'air dans son assiette.
- Bonne arrivée mon chéri !
J'avais touché la main de ma fille, qui en profita pour me serrer le doigt de sa petite main.
- On dit bienvenue à papa Mi ma princesse ? Pa-pa ! Voici pa-pa, je souris à ma fille.
Yeleen s'agite. Milan lui sourit. Et reporte son attention sur moi. Il est glacial. Tellement, que j'ai prie peur.
- Tu peux m'expliquer pourquoi tu es allée te plaindre de moi à ton frère Kyra ?