Chapitre 2 : La rencontre
Ren est le garçon dont j'étais tombée éperdument amoureuse, un peu plus d'un an auparavant.
Je l'avais rencontré alors qu'il était en vacances chez son grand-père. Un médecin à la retraite qui continuait d'exercer dans la clinique qu'il avait fondée plus jeune.
Je me souviens très bien de la première fois que je l'ai vu, et ce, dans les moindres détails :
C'était par une torride journée d'été, où ma grand-mère m'avait demandé de l'accompagner pour un examen médical de routine.
J'avais tenté de me dérober comme à chaque fois, et comme à chaque fois, cette harpie avait su me prendre par les sentiments. Me promettant de garder le silence concernant certaines de mes bêtises.
Le chantage et la manipulation était le fort de mon aïeule, en plus de la tyrannie et d'une mauvaise humeur latente. Avec un costume rayé et un chapeau, elle aurait pu jouer un parrain de la pègre à la perfection.
Sur le trajet je faisais le pitre, à mille lieues de m'imaginer que j'allais rencontrer un garçon de cette trempe. Le genre qui ne me serait même pas apparu dans mes rêves les plus fous.
Bah oui, sinon j'y serais allée autrement qu'avec ma combinaison de jogging orange, dernière mode dans les prisons américaines ; et j'aurais tenté de discipliner ma tignasse qui se laissait vivre depuis l'arrêt des cours.
Tous ces petits détails mis à part, Grand-mère et moi avions pris place dans la salle d'attente du Docteur Ozawa.
Tout en écoutant d'une oreille distraite les éternels reproches de mon honorable aïeule sur ma paresse maladive et ma tenue douteuse, je me levais pour ramasser un magazine sur la table basse.
- Fais donc la sourde oreille.
- Mais non, grand-mère, je t'écoutes, lui répondais-je avec nonchalance tout en continuant de farfouiller au milieu des revues. Je me changerai en rentrant…
- Et ces cheveux ?! Ce sont des brosses à carder qu'il te faudra pour les peigner.
- Pff, gloussais-je devant tant d'exagérations. Des brosses à carder, non mais sérieusement…
La porte s'ouvrit au même instant, laissant entrer un jeune homme de grande taille. Le genre qu'on ne voit jamais de par chez nous.
Il ne devait pas être très vieux, même si on ne pouvait pas lui donner d'âge précis. Dix-huit ou dix-neuf ans tout au plus.
Il paraissait pourtant tellement plus distingué et charismatique que les espèces qui peuplaient mon lycée.
Complètement ébahie, mon regard ne se détachait plus de lui.
On m'aurait demandé mon nom que j'aurai été incapable de le prononcer.
Avec un sourire sot, je saisis un magazine au hasard avant de tâtonner pour retrouver mon siège.
Je suis consciente de décevoir toutes les amatrices d'histoires de rencontres parfaites et dégoulinantes de "ils se regardèrent à cet instant puis comprirent, qu'ils étaient destinés l'un à l'autre...", mais je préfère m'en tenir aux faits et rien qu'aux faits.
Dans mon histoire, comme dans celles que l'on voit dans tous les films d'amour, le coup de foudre a bien eu lieu.
Avec, toutefois, une petite anomalie dans le circuit.
Oui, car j'étais la seule touchée par le phénomène.
En même temps, vous pouvez aisément comprendre pourquoi la flèche de cupidon n'eut aucun effet sur ce beau garçon.
L'antidote "Tenue orange et Capilliculture que même les rastas n'auraient jamais osé arborer" s'était montré plutôt efficace.
Malheureusement, mon apparence chaotique n'était rien à côté de la réaction que j'eus, quand il s'assit en face de moi, et que je pus apprécier mieux les traits de son visage harmonieux.
Ma bouche ne voulait plus se refermer, j'en oubliais, même, de déglutir.
De joyeux filets de bave, dégoulinaient sur mon magazine, que je tenais à l'envers, bien évidemment.
Pour celles qui ne savent pas comment attirer l'attention d'un être convoité, essayez, ça marche du tonnerre. Mais cela dit, il n'y a aucune garantie qu'il vienne vous parler après ça.
Enfin dans mon cas, et surtout dans le lieu où nous nous trouvions, ce garçon avait dû croire que je venais consulter pour un déboîtement de mâchoire.
Un accident qui se serait potentiellement produit lors d'un crêpage de chignon, à la sortie d'un carnaval.
Après m'être ressaisie, je mis un peu d'ordre dans mes cheveux rebelles et ma tenue extravagante.
J'essayais, tant bien que mal, de sauver les miettes de dignité qu'il me restait encore, en offrant ma plus belle pose : j'inclinais légèrement la tête comme pour prendre une photo, et je redressais le buste.
Ma grand-mère me fixait d'un air interrogateur, et de peur qu'elle me balance quelque chose de désagréable, j'optais pour un comportement plus discret.
Tout ce cinéma pour un garçon qui ne me regardait même pas...