L'arrangement
Le regard de l’homme, qui venait de lui proposer le mariage, attendait une réponse de la part de Lucia, tout au moins une réaction.
« Il a bien parlé de mariage, se dit-elle hébétée. Je n’ai pas rêvé ? » Elle voulut le faire répéter pour être sûre d’avoir compris, mais elle s’abstint.
A la place, elle se précipita sur la table, se servit un verre d’eau et le descendit d’une traite.
- Ecoutez, je ne saisis pas en quoi notre union pourrait aider dans des affaires ? Et sincèrement, j’ai d’autres projets pour l’année à venir…
Caruso reprit sa place à table et invita Lucia à en faire autant d’un signe de la main.
- Je devrais vous expliquer les choses un peu plus en détail, dans ce cas. Vous verrez après ce que vous voulez faire.
- C’est tout vu. Je me suis déjà inscrite dans une école d’art et j’ai même réglé tous les frais, s’empressa-t-elle de dire pour couper court à la conversation, je vais donc décliner votre offre…
- Croyez-moi, insista-t-il en se calant contre le dossier de sa chaise, mais la partie qui a le plus besoin de cet arrangement, est bien la vôtre. Je m’explique, continua-t-il en voyant qu’il avait piqué la curiosité de Lucia. La dernière crise économique a eu raison des affaires de Don Marco, qui soit dit en passant, n’étaient déjà plus très florissantes. En m’épousant, ma famille épongera les hypothèques qui menacent les terres de votre grand-père, ainsi que les dettes qu’il a accumulées et qui lui font risquer la prison...
Elle n’en croyait pas ses oreilles. La prison carrément ?
De ce qu’elle en savait, Don Marco s’était toujours montré bon dans les affaires, et même s’il avait hérité de terres, il ne s’était jamais reposé dessus. Contrairement à son père qui dilapidait tout sur son passage, son grand-père, lui, faisait de son mieux pour faire fructifier ses avoirs.
La question restait entière : qu’avait-il bien pu se passer pour qu’il en arrive à hypothéquer des biens qui étaient si chères à ses yeux ?
- Vous dites que si je vous épousais, vous aiderez ma famille ? Demanda-t-elle le regard baissé de tristesse et le front plissé.
- Exact.
- Et que gagnerez-vous à faire ça ?
- Votre nom.
Lucia ne comprit pas bien ce qu’il venait de dire. Son nom ? En quoi son nom pouvait-il l’aider ?
- J’avoue que je ne …
- Ce n’est pas tant votre patronyme qui nous intéresse, précisa Vincenzo, mais plutôt le titre qui va avec. Voyez-vous ? En m’associant à votre famille, je pourrais accéder à un marché, qui jusque-là est réservé à une élite. Mes affaires n’en deviendront que plus prospères et on reste dans une dynamique gagnant-gagnant.
- Et votre fiancée dans tout ça ? Releva la jeune femme en repensant à la conversation qu’ils avaient eu dans le hall de l’hôtel.
Le regard de Caruso s’obscurcit instantanément et Lucia regretta aussitôt sa question.
- C’est un mariage fictif et temporaire, fit-il sèchement, elle n’a, donc, aucune raison de s’y opposer. Puis, avec une pointe de sarcasme dans la voix, et l’avantage dans le fait que ce soit vous et pas une autre, c’est qu’elle n’aura aucun souci à se faire…
- Qu’est-ce que vous insinuez par-là ? S’offusqua la jeune femme qui saisissait que trop bien ce qu’il sous-entendait.
D’un sourire plein de dédain, il lui répondit :
- Allons, ne m’obligez pas à vous dire le fond de ma pensée. Et puis, je vous crois assez lucide sur vous-même, pour bien comprendre que vous n’êtes pas mon type.
- Vous n’êtes pas le mien non plus. Et puis j’ai aussi quelqu’un figurez-vous.
- Me voilà rassuré, dit-il d’un ton moqueur. J’aurais vraiment eu de la peine pour vous si vous étiez tombée amoureuse de moi au terme de cette année…
« Comme il y va ? Se vexa Lucia en roulant des yeux. Qui lui dit que j’accepte son deal, d’abord ! »
Comment pouvait-elle le refuser ? Son grand-père avait vraiment besoin de son aide, et si cette mascarade pouvait le sauver, elle n’allait pas se défiler.
Elle prit le parti de ne pas répondre aux invectives de Vincenzo et d’un soupir, elle hocha la tête :
- Puisque je n’ai pas à changer mes plans d’avenir, je veux bien consentir à cette union.
- Je crois que vous n’avez pas saisi un point, la reprit-il. Cet arrangement est entre vous et moi, mon grand-père et le vôtre s’y opposeraient autrement. Alors durant l’année qui vient, ils nous faudra jouer le couple parfait, et pour cela vous devrez venir vivre à Syracuse, dans la demeure des Caruso…