02
Depuis 2 semaines je suis là, au Sénégal, mon pays natal et dans les moments les plus calmes je me surprends à penser: Personnes ne m'a collé un revolver sur la tempe pour me forcer à accepter toutes ces responsabilités. Personne ne m'a obligé à épouser Latifa. Nous luttons intérieurement contre les trajectoires que suivent nos existences. Mais la vérité est là, implacable: nous sommes les architectes de nos propres impasses.
Dans mon verre, la glace est en train de fondre, tout comme mon cœur. Car juste en face de moi se trouve la femme avec qui j'ai vécu monts et merveilles, supplices et tourments. Elle vient de s'asseoir. Elle a 25ans, des cheveux noirs coupés court, élégante dans sa robe noire, fine et élancée, elle est visiblement brillante, visiblement célibataire (pas d'alliance en vue), visiblement en quête de l'âme sœur. Elle est seule à une table, un verre de coca devant elle, sans téléphone, ni ordinateur, juste avec un carnet noir dans lequel elle dessinait, Une styliste! Raffinée, pleine d'esprit. Et qui a attendu toute sa vie pour rencontrer un homme qui ...
Brrrng...
Mon portable vibre. Arraché à ma rêverie, je retombe sur la terre ferme. À l'autre bout du fil mon associé Abdou Diop qui m'annonce que nous venons de perdre un client dans l'entreprise. Il est déjà au courant pour le grand contrat que j'ai décroché hier. Celui qui aurait dû nous accorder un moment de répit. Au lieu de ça...
-L'éternel a donné, l'éternel a repris ironisa-t-il -Tu rentres quand ? Rajouta-t-il
Je lui réponds que je serai de retour au bureau en début d'après-midi. Je range mon téléphone, mon esprit obnubilé par des calculs financiers, réfléchissant un peu d'espaces de manœuvre dont nous disposons pour le trimestre à venir. Puis je relève la tête.
Latifa a disparu, comme ça sans crier gare. Un rêve anéanti comme un disque dur effacé. Je ressens un étrange sentiment d'abandon, et me sens un peu idiot de rêver d'elle. Nous rêvons tous de partir n'est-ce pas? Cette vie parallèle, juste devant nous, à portée de main, si seulement nous pouvions nous libérer des entraves que nous nous sommes créées. Vous avez une femme, vous êtes épanoui dans votre vie de couple. Jusqu'à ce que vous détourniez le regard et que le mirage s'efface. Le soleil s'est couché, dans votre verre le glaçon a fondu. Comme tout ce qui régit nos existences éphémères, il a disparu. Dans le néant. Je me rends aussi compte que moi et Latifa c'est juste le début de la fin.
Je dépose un billet de 10.000frcs sur la table avant de me lever pour me libérer d'elle, me libérer de ces pensées qui me torturent, j'ai l'impression qu'à chaque fois que j'entre dans un restaurant, j'y vois Latifa. Je sens sa présence partout où je vais. Quand je ferme les yeux je revois l'incroyable moment où son doux rire se glisse délicieusement dans mes oreilles ou quand ses fins bras m'enlacent tendrement. Ah Latifa tu vas me rendre fou.
Quand je mets un pied dehors, je me prends des rafales de photos et de questions. Moi qui me réjouissais d'être tranquille tout ce temps sans paparazzis, les voilà encore à me coller aux baskets. Je n'aurais jamais dû renvoyer mes gardes du corps quand ils ont voulu m'accompagner, mais ces temps-ci j'ai juste envie de rester seul. Même si la solitude ne va jamais combler le vide que je ressens ,elle m'aidera peut-être à surmonter cette passe car à chaque fois que je mon front touche le sol je prie fortement pour que tout ceci ne soit un jour qu'un vulgaire souvenir et un mauvais cauchemar.
"Monsieur Cherif est ce que vous allez
définitivement rester au Sénégal? "
"Monsieur Aidara vous n'avez pas l'air dans votre assiette ces temps-ci, est ce que vous vous êtes bien remis de votre accident?"
"Votre femme Latifa va-t-elle divorcer?"
C'est réellement la question que je me pose en boucle dans ma tête. Latifa va-t-elle demander le divorce? Non elle n'osera pas! Même si c'était le cas, loin de moi est l'idée de me séparer
d'elle. Mais notre relation va-t-elle aboutir à quelque chose si elle n'accepte même pas de me parler ? Latifa est devenue une sorte de tornade qui a pour but de me détruire et si seulement je connaissais les raisons du pourquoi elle est devenue comme cela. Dans ces moments seul mon meilleur ami Abdou Aziz avait le don de me calmer avec ses blagues mais vu qu'il est toujours en voyage et que ces temps-ci il ne m'accorde même pas deux secondes je vais me contenter d'une clope. Et ce dernier va s'occuper de me noircir les poumons mais bon ma santé est la dernière chose dont je me soucis en ce moment.
J'étais tellement bercé par mes pensées que j'en ai oublié que les journalistes continuaient à me prendre en photo et à poser des questions. Je mets ma main à couper que dès ce soir je passerai aux infos, comme tous ces derniers jours d'ailleurs.
Avec toutes les peines du monde, j'entre dans ma voiture, avant de remonter les vitres teintées. Je démarre sans crier gare, ce qui provoqua quelques cris des gens que j'allais heurter, ils l'ont bien cherché, ils ne laissent personne en paix ces journalistes de merde toujours à s'occuper de ce qui ne les regarde pas. Je n'ai point la tête à répondre aux questions. J'ai déjà mes propres questions qui m'embrouillent l'esprit et ne me donnent aucun répit.
Je soupire de fatigue quand mon portable vibre dans ma poche droite.
-Allô Papa
-Salut mon fils est ce que tu peux venir à la maison ?c'est un peu urgent; tu es en train de conduire? Me demande-t-il
-Je suis en route pour le bureau là, c'est vraiment urgent? Et pour répondre à ta question oui je conduis dis-je d'un ton fatigué
-Pas la peine d'être si désagréable Chérif, en fait c'est la fille d'un bon ami qui voudrait intégrer l'entreprise et vu que ta secrétaire est en congé, je lui ai donné son poste, elle a un don cette fille. Viens à la maison je vais t'expliquer et arrête de répondre au téléphone quand tu conduis
-Oh Lord (Oh Seigneur) pourquoi tu ne m'as pas demandé mon avis? Bon j'arrive soufflais-je avant de raccrocher.
Je répète pour la énième fois mon rituel: celui de penser à Latifa. Mais là je me souvenais du moment où on se disputait pour changer de chaînes, c'est comme si je revivais ce merveilleux moment.
-Chérif, j'en ai marre. Depuis ce matin tu regardes des matchs sans importance. Donne-moi la télécommande avait-elle dit en essayant de prendre la télécommande qui était derrière mon dos
-Laisses moi suivre mon match en paix femme, vas plutôt me faire à manger j'ai faim ou bien viens regarder avec moi tu verras : c'est que du bonheur
-En quoi c'est du bonheur de regarder 11hommes avec des coiffures bizarres courir derrière un ballon soupirait-elle
-Tu as raté ta vie ma chérie. Ça nous changera des émissions de mode à en plus finir avais-je dit avant de la faire basculer sur le canapé pour la chatouiller.
-Aaaaaaaaaaaaaaaaaaah cria-t-elle tandis qu'un sourire joyeux se dessina sur mes lèvres. Mais il m'a fallu que quelques minutes pour apercevoir que j'ai failli heurter un jeune homme ou plutôt une jeune femme, d'où les cris:
-MAIS VOUS ETES FOU OU QUOI ESPÈCE DE CHAUFFARD, N'AVEZ VOUS PAS VU QUE LE FEU ÉTAIT AU ROUGE. (Bilay boma teulone dinaleu wane louy taak té dou fay)
Au même moment je remarque qu'on était au milieu de la route attirant le regard curieux de certains passants. Pour ne pas me faire remarquer par les gens ou surtout les journalistes, je reste dans ma voiture en attendant que la jeune femme à la dégaine d'homme terminer son monologue