Sauveur, l'enfant de la réconciliation

Sémaphora :

Je vis avec mon fils, Sauveur au château de mon père, François. Mon grand-père ne sort pratiquement plus de ses appartements depuis la tragique mort de ma petite grand-mère, Enola. J'ai moi-même, également, énormément de difficulté à accepter cette disparition. Je ne l'ai pas connue longtemps, mais assez pour qu'elle me séduise totalement. A présent, elle me manque. Sa douceur infinie, son regard pétillant qui se posaient sur nous, nous remplissait d'une joie incommensurable, comme un bien être invisible qui s'emparait de nous. Elle était une femme exceptionnelle, au vécu extraordinaire, une femme avec de grands pouvoirs et d'une modestie sans égal. Elle était une vague de chaleur réconfortante. Les quelques jours à la côtoyer auront été très heureux et très instructifs. Ce vampire secret, trait dominant de mon grand-père, nous cache encore une partie de la véritable personnalité que son épouse nous a permis de découvrir. A la manière dont il reste mystérieux, j'imagine qu'elle ne nous a dévoilé qu'une partie de son pouvoir. La curiosité triture mon cerveau à ce sujet. Mais, je commence à connaître mon aïeul, s'il n'est pas décidé à se confier, il ne le fera pas même si nous le harcelons de questions. Bien au contraire, il se braquera, et ce ne sera pas mieux.

Six mois, se sont écoulés depuis la mort tragique de la femme la plus influente de ma vie. Le temps poursuit sa course, inlassablement et sans se retourner. Il entraîne tout sur son passage, les bons comme les mauvais souvenirs.

Mon fils grandit relativement vite. Son père, Tristan, vient lui rendre visite, de temps en temps. Il adore jouer avec ce dernier. Il faut avouer que nous avons eu un magnifique petit garçon.

Tristan et moi............C'est une histoire compliquée. Je ne le supporte plus à mes côtés, c'est plus fort que moi, cette idée me révulse à un très haut degré. Déçu par mon refus de l'accepter, il a préféré quitter le château, comprenant au bout de plusieurs mois que je ne reviendrais pas sur ma décision. Je suis parfaitement consciente que je nous fais souffrir parce que les sentiments sont toujours présents. Il s'est éloigné de moi progressivement, et j'en ai ressenti du soulagement. Quand j'y pense, j'imagine que je suis une femme égoïste.

Les humains et les vampires cohabitent depuis la naissance de mon fils plus fameusement appelé "l'enfant de la réconciliation". J'éprouve encore de l'étonnement par rapport à l'acte victorieux que j'ai réussi à mener pour réunir les humains et les vampires. C'est une très belle victoire pour moi. Je remonte dans mon estime, notamment depuis que je suis convaincue que je ne suis pas une "abomination". On me respecte de part et d'autre, j'ai l'impression d'être un centre meneur autour duquel gravite des êtres qui ont confiance en moi. Je me sens valorisée, ainsi.

Je suis devenue très amie avec Sofia, l'épouse de Tobias, le chef de la résistance humaine. Elle me rend souvent visite, et, notre relation s'approfondit de jour en jour. Je la consulte pour des questions sur l'éducation des enfants. Elle m'a aidé à accoucher. Je lui suis infiniment reconnaissante d'avoir remplacé ma grand-mère au dernier moment. Elle n'a pas d'enfants mais elle m'a avoué qu'elle le souhaitait.

Cette après-midi, nous allons rendre visite à ma mère au campement. Elle préfère vivre en pleine nature plutôt qu'enfermée entre quatre murs. Mais, je pense que c'est pour vivre le parfait amour avec son vampire de cœur, mon oncle Hubert. Ils sont attachants tous les deux, ils rattrapent le temps perdu. Ils ne souhaitaient pas que quiconque se mette au travers de leur bonheur. Et Hubert, un attachement affectif nous lie éternellement. De tous mes proches, il est celui qui me connait le mieux, celui dont je suis certaine qu'il ne me trahira jamais.

Aujourd'hui le soleil est très haut dans le ciel bleu. Il n'y a presque pas de nuages, et, j'ai envie de profiter de la forêt pour promener mon fils. Et à chaque fois que je l'emmène dans la forêt, il est accueilli comme un prince par les autres vampires qui vivent avec ma mère. 

Depuis quelques jours, les absences de Tristan, j'entends ses manquements en tant que père, se répètent de plus en plus. Et, aujourd'hui, ne fait pas exception. Il n'a jamais manqué une promenade en forêt avec son fils. Il m'inquiète de plus en plus. Nous ne discutons plus vraiment ensemble, donc, j'ignore ce qu'il manigance. Il n'a plus de domicile fixe, je crois qu'il erre à droite et à gauche. J'espère qu'il ne se compromet pas. Sur son visage le masque de la déception s'est installé. Je crains qu'il ne fasse taire ses émotions afin de ne plus avoir à souffrir. Sa vie ne me concerne plus, mais je redoute qu'il me déçoive une seconde fois, en restant très influençable. Je ne l'ai rarement vu prendre ses responsabilités, à une exception près quand il m'a sauvé la vie en me croyant en danger. C'est peut-être aussi ce que je lui reproche inconsciemment, son manque de maturité. S'il avait réfléchi aux conséquences de ses actes, nous n'en serions pas à ce stade.

Je me perfectionne dans mon rôle de médiateur entre deux communautés diamétralement opposées. Les erreurs passées de mon père François restent encore au-travers de la gorge de certains. On n'efface pas les mauvaises actions d'un coup de gomme. Les antécédents des deux côtés sont parfois pénibles à gérer. J'ai vu mon père à l’œuvre quand il avait refoulé ses émotions, il était devenu un monstre sanguinaire. J'ai expérimenté cette cruauté sans fin. Tristan est retenu dans ses retranchements par Sauveur, il saura contenir sa souffrance pour ne pas sombrer dans le côté obscur de la nature vampirique. Je garde espoir.

Nous nous promenons dans la forêt, il y fait bon. Nous admirons la nature, je sensibilise mon fils à l'environnement. Je suis une mère comblée avec Sauveur. Il ressemble énormément à son père. De moi, il n'a que les yeux. Il est encore trop tôt pour définir son caractère, mais il est gentil et très souriant. Pour le moment, à l'orée de sa vie, il est très sensible et humain. Il se nourrit d'aliments et de sang. Quand j'étais enceinte, il me forçait à boire du sang à mon grand désarroi parce qu'il a fallu que je renonce à mes principes.

Il est assis sur les feuilles et joue à essayer de les attraper. Il rit aux éclats quand il n'arrive pas à les prendre. Son rire d'enfant est communicatif, il entraîne toutes les créatures autour de lui. Il n'est pas encore conscient de qui il est. Un jour, il devra être exceptionnel. Je le confie à Maty, une jeune fille vampire assise à côté de lui. Je souhaiterais discuter avec ma mère. Je me rapproche d'elle, elle me sourit quand elle m'aperçoit. Nous n'avons pas souvent l'occasion de partager nos émotions.

"- Sémaphora ! Ma fille !" Me dit-elle en attrapant mes mains dans les siennes.

"- Je ne répèterais jamais assez à quel point je suis fière de toi !" Elle me complimente.

"- Tu me le répètes à chaque fois que tu me vois !" Je lui rappelle.

Elle frotte le dessus de ma tête, et, décoiffe mes cheveux.

"- ça se passe bien avec ton père ?" Elle me questionne.

"- Oui !" Je lui confirme.

"- Et Tristan ?" Elle poursuit.

Je serre les lèvres.

"- Je n'ai pas vraiment envie d'en parler !" Je lui avoue.

Elle hoche la tête, au même moment nous entendons un grand cri provenant de l'endroit où j'avais laissé mon fils quelques secondes auparavant. Je reviens en catastrophe sur mes pas, et là je découvre la jeune fille en pleurs, un bout de bois planté dans l'épaule. Mon fils a disparu. Je le recherche partout et ne le vois pas. Je panique.

"- Que s'est-il passé ?" J'interroge Maty au bord de l'hystérie.

"- Je ne l'ai quitté des yeux que quelques secondes où j'ai reçu un pieu. Quand j'ai tourné la tête vers lui, il avait déjà disparu !" Elle m'annonce.

Je suis au bord de l'évanouissement. Non ! Mon fils ! Non ! Je cours dans tous les sens comme une folle. Le sol vacille sous mes pieds. Je sens des bras me porter, et, je ne vois, ni n'entends plus rien. 

Je me réveille doucement. Je ne me sens pas bien du tout. Puis, tout me revient à l'esprit. Mon fils a disparu, et là, j'hurle de toutes mes forces. J'ai peur pour mon bébé. Je m'en veux de l'avoir laissé seul pour discuter avec ma mère. Je suis désespérée à genoux sur les feuilles. Mon monde vient de s'écrouler, mon cœur est comme un désert aride, je suis dévastée. Qui a bien pu enlever mon fils, et pourquoi ? C'est ce que je vais m'évertuer à trouver !