Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

Le Souffle de Cendres

Nael restait allongé, nu, le corps encore ancré dans l’étreinte violente qu’il venait de vivre avec Lena. Mais l’après-coup n’était pas douceur. Il brûlait. Non pas du désir, mais du doute. Du poison lent que Lena avait injecté dans son esprit.

Chaque battement de son cœur le ramenait à l’image d’Aeliana, debout dans l’ombre. Il l’avait sentie, une fraction de seconde trop tard. Son regard figé, sa silhouette nue seulement couverte de silence. Il avait senti son cœur mourir dans sa poitrine.

— Aeliana… murmura-t-il, se relevant.

Mais elle avait disparu.

Lena s’étira à ses côtés, féline et satisfaite. Ses doigts glissèrent paresseusement sur sa poitrine.

— Elle a vu. C’est mieux comme ça. Elle ne mérite pas ton amour.

Nael la repoussa brutalement et se leva, les poings tremblants.

— Tu ne comprends rien. Je n’ai pas fait ça pour toi. Je voulais la vérité. Pas... ça.

— Tu l’as prise. Tu m’as prise. Ton corps sait encore à qui il appartient, chuchota Lena, un sourire venimeux aux lèvres.

Il l’ignora. Ses vêtements froissés furent remis en hâte. Son esprit criait. Il devait retrouver Aeliana. La retrouver, et comprendre.

Le chemin de retour fut long, torturé. Les couloirs paraissaient plus sombres, comme si le sanctuaire lui-même l’accusait. Chaque pas résonnait comme une faute. Il retrouva la chambre vide. La couverture qu’il lui avait laissée traînait au sol, tachée de sang séché.

— Aeliana… appela-t-il.

Le silence fut sa seule réponse.

---

Aeliana marchait dans les jardins morts, pieds nus sur la pierre froide. Le monde entier lui semblait étranger, comme si le lien entre elle et la matière avait été rompu.

Elle avait tout vu. Tout senti. Le doute de Nael, son corps trahi par le souvenir d’une autre. La chair ne ment jamais, même quand l’âme hurle.

Elle s’adossa contre un vieux pilier couvert de mousse et leva les yeux vers la lune éclatée. Son souffle était rauque, brisé.

— Tu étais à moi, murmura-t-elle pour elle-même. Je t’avais choisi…

La morsure qu’elle lui avait faite, elle l’avait scellée avec sa magie la plus intime. Une part d’elle vivait en lui maintenant. Mais cette part saignait.

Un bruissement derrière elle.

— Tu n’as rien dit. Tu n’as pas crié. Tu l’as regardé… puis tu es partie.

Aeliana ne se retourna pas. Elle reconnut la voix.

— Calien.

Le vampire au visage pâle, aux yeux d’ambre froid, s’approcha lentement. Ancien, silencieux, il avait servi la lignée de l’Est longtemps avant sa chute.

— Je t’avais avertie. Les hybrides sont instables. Leur loyauté est un feu de paille.

— Il m’aimait.

— Non. Il voulait être aimé.

Elle ferma les yeux. Le poids de cette nuance l’écrasa.

— Que vas-tu faire ? demanda Calien, doucement. Le Conseil te regarde. Le Cercle Rouge se méfie déjà. Tu as pris un risque, Aeliana. Tu l’as lié à toi, tu l’as caché.

— Parce qu’il est plus qu’un pion.

— Ou parce qu’il ressemble trop à ce que tu as perdu.

Aeliana se retourna alors, et son regard incendia Calien.

— Ne parle pas d’elle.

Mais le vampire ne recula pas. Au contraire, il s’approcha jusqu’à ce que leurs visages se frôlent.

— Elle était ta sœur. Ta moitié. Tu l’as tuée.

— Elle voulait me tuer, répliqua-t-elle. Tu le sais.

— Peut-être. Peut-être pas. Le Cercle Rouge s’en moque. Tout ce qu’ils voient, c’est une femme qui a pris la place de sa sœur, puis a offert son sang à un bâtard maudit.

Aeliana se détourna de lui, les dents serrées.

— Je trouverai une autre voie.

— Il n’y a pas d’autre voie. Le Sang appelle le Sang. Tu veux le sauver ? Tue Lena. Ramène la tête de la Meute Noire. Alors peut-être qu’on te pardonnera.

Un souffle de vent fit frémir les feuilles mortes. Aeliana resta figée. Puis, d’une voix plus calme :

— Si je la tue, il me haïra.

— Et s’il la suit, tu mourras. Ton choix.

---

Nael errait maintenant dans les niveaux inférieurs du sanctuaire, là où les murs transpirent la mémoire et la pierre. Il appelait son nom, parfois. Murmurait des excuses à l’air vide.

Puis une silhouette apparut. Pas Aeliana.

Un vieil homme, à la peau grise, aux yeux laiteux. Un ancien. Un Gardien.

— Tu cherches la vampire.

Nael hocha la tête.

— Tu ne la trouveras pas ici.

— Où est-elle ?

— Partie. Pour protéger ce qui peut encore l’être.

Le Gardien le dévisagea longuement. Puis :

— Tu sens le sang mêlé. La morsure encore chaude. Mais ton cœur... il est fendu. Tu ne sais plus qui tu es.

— Je suis Nael.

— Non. Tu étais Nael. Maintenant tu es fracture, tension. Tu es deux volontés opposées. Celle d’une femme de feu, et celle d’une femme d’ombre.

Nael baissa les yeux. Il sentait tout cela. Il ne savait plus lequel de ses battements appartenait à Aeliana… ou à Lena.

— Que dois-je faire ?

— Choisir. Et vite. Avant que le Cercle Rouge ne choisisse pour toi.

Le Gardien lui tourna le dos, et disparut dans l’ombre.

---

Dans la plaine nocturne, loin du sanctuaire, Aeliana courait. Ses pieds nus frappaient l’herbe humide, son souffle s’arrachait à sa gorge. Elle n’était plus la reine du Cercle. Elle n’était plus sœur, ni amante. Juste une créature fuyant son propre reflet.

Elle s’effondra enfin au bord d’un ruisseau. L’eau brillait comme un miroir noir. Elle y vit le visage de Nael, ses yeux dans ceux de Lena. Elle frappa la surface, la déchira.

Puis elle se mit à pleurer. En silence. Longtemps.

Et dans l’eau, un autre visage apparut.

— Tu pleures enfin.

Elle sursauta. Le reflet était... le sien. Mais différent.

Des cheveux plus longs. Des yeux plus noirs. Un sourire cruel.

— Tu ne peux pas fuir ce que tu es, dit la voix.

— Tu es morte.

— Non. Je suis toi. Celle que tu as enfermée pour plaire à leurs lois. Celle qui voulait vivre, boire, aimer sans règles. Tu as cru pouvoir tuer ta moitié ? Mais regarde. Tu l’as recréée dans Nael.

Aeliana recula.

— Tu mens.

— Alors reviens au sanctuaire. Et regarde bien. Regarde ce qu’il devient sans toi.

Et le reflet s’effaça.

---

Nael était retourné dans la chambre où tout avait commencé. La fontaine rouge. Le sang séché. L’empreinte d’un corps endormi.

Il se pencha au-dessus du bassin et plongea ses mains dans l’eau épaisse. Il voulait se laver. Il voulait renaître.

Mais la surface resta rouge.

Alors il cria.

Un cri long. Brut. Animal.

Et dans l’ombre, Lena l’observait.

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.