chapitre 4
Chapitre 4
Mathilda était restée pensive depuis son dîner avec Nicolas. Ce soir-là, il lui avait fait découvrir un monde où tout ne se résolvait pas avec un simple coup de crayon ou un chèque généreux. Loin des mondanités et des affaires de haut vol, elle avait senti qu’il y avait chez lui une intégrité rare, une détermination ancrée dans quelque chose de plus profond que le succès ou le prestige. Et cette découverte la troublait plus qu’elle ne l’aurait voulu.
Le lendemain, alors qu’elle feuilletait distraitement les dossiers sur son bureau, une idée lui vint : elle voulait voir Nicolas dans son élément, là où il était vraiment lui-même. Elle fit quelques recherches et découvrit qu’il travaillait sur un projet ambitieux mais modeste : il s’agissait d’une initiative locale pour soutenir les petites entreprises de son quartier, un réseau d’entraide pour des entrepreneurs indépendants. Intriguée par son engagement, elle décida d’aller le voir.
Quand elle arriva à l’improviste dans les locaux, elle surprit Nicolas en pleine discussion avec une jeune entrepreneuse. Il leva les yeux, visiblement surpris de la voir là. Elle lui adressa un sourire innocent, comme si sa présence dans ce lieu modeste était parfaitement naturelle.
— Mathilda, qu’est-ce que vous faites ici ? demanda-t-il en lui adressant un regard perplexe.
Elle haussa les épaules, tentant de jouer la carte de la désinvolture.
— Je voulais en savoir plus sur ce projet dont vous m’avez parlé, répondit-elle en regardant autour d’elle. Et puis, vous m’avez rendu curieuse, Nicolas. Vous parlez tellement de votre travail avec passion… Je voulais le voir de mes propres yeux.
Il soupira, visiblement mécontent de sa visite impromptue.
— C’est un endroit simple, vous savez. Peut-être que ça ne correspond pas vraiment à vos standards.
Elle lui lança un regard amusé.
— Nicolas, je ne suis pas venue ici pour juger le décor. J’ai entendu parler de votre projet, et je trouve ça… admirable.
Elle marqua une pause, observant les affiches modestes sur les murs, les cartons empilés un peu partout, les bureaux vieillots. Ce lieu était un contraste frappant avec l’univers luxueux auquel elle était habituée, et c’était précisément ce qui la fascinait.
— Écoutez, insista-t-elle, j’aimerais réellement m’impliquer. Je pourrais peut-être vous aider avec des fonds, ou même quelques contacts.
Il fronça les sourcils, un éclat de méfiance dans le regard.
— Mathilda, je ne veux pas de votre argent. Ce projet doit rester à une échelle humaine. Si nous commençons à accepter des financements extérieurs, nous risquons de perdre ce qui fait la force de cette initiative.
Elle le fixa, légèrement déstabilisée. Elle ne s’attendait pas à un refus aussi catégorique.
— Nicolas, je comprends que vous souhaitiez garder une certaine indépendance, mais je pourrais vraiment vous être utile. Ce projet pourrait prendre une toute autre envergure avec un peu de soutien financier.
Il secoua la tête, visiblement agacé.
— Mathilda, vous ne comprenez pas. Ce projet n’est pas destiné à devenir une multinationale ou un empire. Nous voulons aider les gens localement, de manière concrète et immédiate, sans devoir des comptes à qui que ce soit.
Elle resta silencieuse, surprise par son ton ferme et sans compromis. Dans son monde à elle, tout pouvait être résolu avec un apport financier, un investissement stratégique. Mais Nicolas ne voyait pas les choses de cette manière. Pour lui, ce projet était une mission personnelle, un engagement qui ne pouvait pas être dilué par de l’argent venu d’ailleurs.
Elle baissa les yeux, sentant pour la première fois un léger malaise. Peut-être qu’elle n’avait pas saisi la profondeur de l’engagement de Nicolas. Elle s’était imaginée qu’en lui offrant de l’aide, elle pourrait s’attirer ses bonnes grâces, mais elle réalisait maintenant qu’il voyait les choses autrement.
— D’accord, concéda-t-elle finalement, je respecte votre choix. Mais si vous avez besoin d’un coup de main, pour quoi que ce soit, n’hésitez pas à me le dire. Je ne veux pas m’imposer.
Il la fixa un instant, son regard se radoucissant légèrement.
— J’apprécie votre offre, Mathilda. Mais ce projet, c’est un peu… mon rêve. J’ai vu trop de gens dépendre de grandes entreprises qui finissent par les écraser. Ici, on essaie de donner une chance aux petits entrepreneurs de réussir par eux-mêmes, sans avoir à vendre leur âme pour survivre.
Elle hocha la tête, touchée par son discours. Sa vision du monde différait tellement de la sienne, mais elle commençait à comprendre ce qui le motivait. Pour lui, il ne s’agissait pas seulement de réussite financière, mais de fierté, de liberté. C’était quelque chose qu’elle admirait, même si elle avait encore du mal à l’assimiler pleinement.
— Vous êtes une personne intègre, Nicolas, murmura-t-elle. C’est rare de nos jours.
Il lui lança un regard surpris, puis esquissa un sourire.
— Je ne suis pas sûr que ce soit de l’intégrité. Disons que je suis obstiné.
Elle rit doucement, appréciant cet instant de complicité. Elle sentait qu’ils étaient en train de franchir une nouvelle étape, de se comprendre un peu mieux, malgré leurs différences évidentes.
En sortant des locaux de Nicolas, Mathilda se retrouva plongée dans ses pensées. Il avait réussi à ébranler certaines de ses certitudes, à lui montrer une autre facette du monde des affaires. Un monde où la réussite ne se mesurait pas seulement en millions, mais en valeurs, en principes. Elle commençait à apprécier cet aspect de sa personnalité, cette intégrité qu’il portait en lui comme une seconde nature.
Alors qu’elle s’éloignait, elle savait qu’elle reviendrait. Pas pour l’argent, ni pour le prestige, mais pour Nicolas.
