Chapitre 5
– Bonjour, Monsieur, bienvenue. Que puis-je faire pour vous ? demanda le jeune conseiller.
– Bonjour, Sage ! Je suis ici pour vous exposer une préoccupation. Il s’agit de mes épouses !
– Vos épouses ?
– Oui, mes épouses !
– Combien en avez-vous, s’il vous plaît ?
– Deux !
– Les deux vivent-elles sous le même toit que vous ?
– Oui !
– Très bien, je vous écoute !
L’étranger s’installa confortablement et entama un long récit.
– Je n’arrive pas à comprendre mes épouses. Elles passent leur temps à semer la discorde dans ma maison. Chaque jour, on les entend se disputer. Dans tout le quartier, c’est chez moi que résonnent les cris de femmes. Ce matin encore, l’une d’entre elles a provoqué l’autre ; je ne sais même pas de quoi il s’agissait, mais dès six heures, elles se sont lancé des insultes. Je suis perdu, et pour couronner le tout, j’ai une autre épouse en ville que je dois accueillir prochainement. J’ai besoin de tes conseils, je t’en prie.
Sage Adébi, observant attentivement son visiteur pendant son témoignage, esquissa un sourire avant de resserrer les lèvres.
– Monsieur, j’ai écouté attentivement ce que vous avez dit. Mais avant de vous répondre, permettez-moi de vous poser quelques petites questions !
– Je t’écoute !
– Alors, pourquoi avez-vous choisi d’épouser deux femmes ?
Face à cette interrogation, le visiteur commença à regarder de gauche à droite, visiblement mal à l’aise.
– Je ne vous accuse pas, Monsieur, reprit le conseiller, je souhaite simplement comprendre. Est-ce un choix volontaire de votre part ?
– À votre question, je peux répondre que c’est un choix volontaire, répondit l’homme.
– Enfin, je comprends ! Permettez-moi de vous dire quelque chose, monsieur. La polygamie n’est pas une décision que l’on prend à la légère. Avant de s’engager dans une vie polygame, il faut avoir une grande résilience mentale. Beaucoup de personnes ne possèdent pas cette mentalité, et lorsqu’elles voient quelqu’un avec deux ou trois épouses, elles pensent qu’elles peuvent en avoir autant. Vous avez déjà deux femmes que vous êtes incapable de gérer, et pourtant vous envisagez d’en ajouter une troisième ! Vous jouez avec le feu, sans même le savoir. Oui, vous jouez avec le feu. Tout d’abord, vous manquez de compétences pour gérer vos deux femmes. En tant que chef de famille, ce que vous dites ou recommandez devrait normalement être respecté, mais si vos épouses se disputent en votre présence, cela signifie qu’elles ne vous respectent pas. Et si tel est le cas, c’est de votre faute. Je peux affirmer sans me tromper que vous vous négligez, et c’est pourquoi vos épouses se permettent de faire ce qu’elles veulent, même en votre présence. Voici mon conseil : rentrez chez vous et réunissez vos deux épouses. Posez-leur des questions tour à tour. Écoutez chacune d’entre elles. Favorisez la paix entre elles. Je suis conscient qu’il y aura peut-être une panthère parmi elles qui ne sera pas d’accord avec cette idée de paix que vous souhaiterez instaurer entre elles. Dites-lui que si elle refuse, elle devra retourner chez ses parents. Je suis convaincu qu’elle ne l’acceptera pas et sera contrainte d’accepter cette proposition de paix. Une fois que vous aurez réussi à les réconcilier, veuillez leur transmettre le message suivant : À partir d’aujourd’hui, je ne veux plus entendre de disputes dans cette maison. Nous sommes tous responsables de nos actes dans cette vie. Si quelqu’un blesse l’autre, que la personne offensée vienne m’en parler et je saurai comment empêcher l’autre de commettre la même erreur à l’avenir. Cependant, si vous continuez à vous disputer dans ma maison, je renverrai celle qui a commencé la dispute à l’extérieur et elle ira passer deux mois chez ses parents. Après ces deux mois, je prendrai contact avec ses parents pour régler la situation. Cela signifie que si l’une d’entre elles enfreint cette règle que vous avez établie, vous la punissez en la renvoyant chez ses parents et elle ne pourra revenir qu’après deux mois. À ce moment-là, elles constateront que vous avez changé et qu’elles devront faire très attention pour éviter votre colère. De plus, chaque semaine, vous devriez apporter un bon repas de la ville et le partager dans le même plat avec elles deux. Même si chacune a sa propre chambre, vous devriez les encourager à entrer dans la chambre de l’autre. Vous êtes la source même des malentendus entre vos femmes, et si vous ne savez pas comment remédier à la situation, elles finiront par se détruire mutuellement, et vous vous retrouverez involontairement derrière les barreaux pendant des années. Vous vous demandez peut-être comment cela pourrait être possible. Permettez-moi de clarifier les raisons qui me poussent à dire cela. Selon votre point de vue, il est tentant d’épouser une troisième femme, même si vous n’avez pas encore trouvé de solutions pour harmoniser la vie avec les deux premières. Cependant, permettez-moi de vous dire que les femmes sont des êtres rusés. Lorsque votre troisième femme emménagera dans votre maison, il est fort probable qu’une des premières femmes cherchera à gagner son amitié. La troisième femme réussira à établir une relation amicale avec succès, sans se rendre compte qu’elle est utilisée comme un instrument de vengeance contre l’autre femme. Que se passera-t-il un jour où vous ne serez pas à la maison ? Les deux femmes qui s’entendent bien pourraient faire équipe pour tourmenter celle qui se sent exclue. Imaginez un instant les conséquences lorsque les conflits se multiplieront. Que peut faire une personne seule face à deux autres ? Par conséquent, je vous déconseille vivement d’envisager l’idée d’une troisième femme. Si vous n’êtes pas en mesure de lui fournir une chambre en dehors de la maison, il vaut mieux qu’elle poursuive sa vie avec un autre homme plutôt que de l’inviter chez vous, là où vivent déjà les deux premières femmes. J’en ai terminé.
Le monsieur, visiblement confus, se leva sans dire un mot et partit.
***
La cour des Akanni était paisible cet après-midi-là, mais à l’intérieur, on pouvait entendre les pleurs d’un bébé. Assis sur les genoux d’une jeune femme, se trouvait le petit Espoir. On le frottait doucement avec une éponge, mais au lieu d’être heureux, il criait de plus belle. La jeune femme qui s’occupait de lui chantait.
– Ne pleure pas, mon joli garçon, ne pleure pas, chantonnait la nounou.
Malgré le chant, le bébé continuait de pleurer comme si le chant n’avait aucun effet sur lui. Il pleurait encore de toutes ses forces lorsque l’enseignante entra dans la pièce.
– Oh mon chéri, pourquoi pleures-tu autant ? s’exclama-t-elle en se précipitant vers le petit garçon en pleurs.
– Bienvenue, madame ! répondit la nounou.
– Oui, merci, Tata Eunicia, répondit la nouvelle venue. Et tu es en train de pincer mon garçon ! ajouta-t-elle taquinement.
– Votre garçon n’aime pas l’eau, expliqua la nounou.
– Qui vous a dit ça ? taquina l’enseignante.
Les deux femmes, se taquinant mutuellement, touchaient le petit Espoir sans se fatiguer.
– Et sa mère ? demanda Prunelle.
– Elle est dans sa chambre ! répondit la nounou.
– Et elle t’a laissé mon chéri entre les mains et tu es en train de le taquiner !
Soudain, la nourrice apparut dans l’escalier.
– Bienvenue, tante ! s’exclama-t-elle.
– Oui, maman Espoir, bonsoir ! Comment vas-tu ?
– Je vais bien, merci !
– Et tu as laissé mon chéri entre les mains de Tata Eunicia qui est en train de le taquiner pour moi.
Et les trois femmes éclatèrent de rire.
***
Six mois plus tard, la période des belles vacances avait touché à sa fin. C’était la deuxième semaine de la nouvelle année scolaire et Prunelle se trouvait à l’école avec ses nouveaux élèves, comme chaque année. Tous les élèves de sa classe étaient ceux qui avaient été admis l’année précédente. Pendant les vacances, elle avait reçu de nombreux cadeaux de la part des parents d’élèves.
À la maison, la nounou s’amusait avec le petit Espoir qui avait déjà six mois et avait beaucoup grandi. Grâce à ses compétences en matière de garde d’enfants, Tata Eunicia avait utilisé différentes méthodes qui avaient permis au petit de faire rapidement ses premiers pas. Le petit était si attaché à Tata Eunicia qu’il ne se rendait chez sa mère que lorsqu’il avait envie de téter. Pire encore, il préférait passer du temps avec sa belle-mère, l’enseignante Prunelle, plutôt qu’avec sa propre mère, car Prunelle le promenait en voiture de temps en temps.
Il était dix heures et Tata Eunicia était assise dans le salon en jouant avec le petit Espoir lorsque la sonnette retentit.
– Espoir, appela-t-elle, reste calme dans ton berceau pendant que je vais voir qui est à la porte.
Eunicia laissa le petit garçon et se dirigea vers la cour. Lorsqu’elle arriva sur la pelouse, elle ouvrit le portail et s’exclama soudainement : Tata Josée, bienvenue.
– Bonjour, Madame Eunicia, comment allez-vous ? répondit la nouvelle venue.
– Je vais bien, merci. Veuillez entrer, s’il vous plaît.
Et la nouvelle arrivée pénétra dans la cour, un petit sourire accroché entre les dents.
– Et ma copine ? demanda la visiteuse.
– Elle est montée à l’étage il y a quelques minutes seulement.
– D’accord !
Les deux jeunes femmes se dirigèrent alors vers l’immeuble. Lorsqu’elles arrivèrent au salon, la nounou demanda à la visiteuse si elle devait prévenir la mère d’Espoir de sa présence.
– Oh, non, ne t’inquiète pas, répondit-elle. Ici, c’est chez moi. Laisse-moi aller la voir dans sa chambre.
– Pas de problème !
Et la nouvelle arrivée se dirigea vers les escaliers, les monta un par un, puis s’arrêta devant une porte quelques secondes plus tard. Elle frappa à la porte pour signaler sa présence à son amie.
– Entre, Tata Eunicia ! s’exclama l’autre depuis la chambre.
L’étrangère poussa la porte et entra dans la pièce.
– Oh, Josée, c’était toi ?
– Oui, c’est moi. Comment ça va ?
– Je vais très bien ! Et toi ?
– Ça va ! Et ta coépouse ?
– Aujourd’hui, c’est le jour d’école et elle est déjà partie travailler.
– C’est très bien ! Mais ma chère Aïcha, ce que je ne comprends pas, c’est combien de temps ta naïveté va durer ?
– Ma naïveté ? s’étonna la personne interrogée.
– Oui, ta naïveté !
– En quoi suis-je naïve ?
– Penses-tu que c’est une bonne idée de laisser ton fils constamment à la merci de ta rivale ? Sais-tu ce que signifie le mot "rivale" ? Pendant des mois, je t’ai observée et je me suis dit qu’avec le temps, tu comprendrais que tu ne devrais pas trop te fier à une rivale, mais je constate que tu n’as jamais pris conscience de cela. J’ai le pressentiment que ta rivale finira par faire du mal à cet enfant que tu laisses sans protection.
– Arrête, Josée ! Ma rivale n’est pas de cette nature.
– Je savais que tu allais me dire ça, et voilà ! Aïcha, cette femme que tu penses être bonne, je te jure que tu ne sais pas encore ce qu’elle est en train de préparer. Un jour, tu te réveilleras et tu trouveras ton fils mort...
– Qu’Allah n’ose ! Jamais, jamais, jamais et encore jamais. Quoi ? Mon enfant ?
– D’accord, tu me le reprocheras un jour. Crois-tu que cette femme est fière ou heureuse de toi ? Une femme qui n’a jamais eu d’enfant et qui prétend aimer l’enfant de sa rivale, tu trouves cela normal ?
Aïcha, accordant toute son attention à son amie, finit par admettre la véracité de ses affirmations.
– Si tu le dis, tu n’as pas tort, dit-elle. Je suis surprise qu’elle paie la nounou vingt mille francs tous les quinze jours sans aucune raison apparente, et je me demande quelle sorte de générosité se cache derrière ces gestes...
– Voilà, et cela ne te semble pas suspect, n’est-ce pas ? Laisse-moi te dire qu’elle a embauché cette personne pour l’aider à accomplir son plan. Cette femme que tu vois là a été engagée uniquement pour rendre la vie difficile à ton fils. La première chose que tu dois faire, c’est lui retirer ton enfant et ne plus le laisser à sa portée. Désormais, prends toi-même soin de ton enfant au lieu de le confier à quelqu’un d’autre. Et enfin, ne laisse plus ton enfant être à la merci de ta rivale. Si elle veut s’amuser ou passer du temps avec un enfant, qu’elle aille avoir son propre enfant…
– Sincèrement, merci de m’éveiller de mon sommeil. Cette femme et sa prétendue nounou vont avoir affaire à moi dans cette maison. Quand tu reviendras bientôt, je te promets que tu ne verras plus cette femme prénommée Eunicia ici. D’ailleurs, laisse-moi aller lui reprendre mon enfant en même temps...
– Non, attends que je parte d’abord, sinon elle se doutera de quelque chose.
– D’accord, j’attendrai ton départ avant de m’occuper d’elle et de sa complice.
Assise à sa place, Aïcha s’agitait dans tous les sens.
– S’il te plaît, Josée, rentre vite ; je dois aller chercher mon enfant avant que ces deux sorcières ne lui fassent du mal.
– Oui, je m’en vais déjà, murmura la visiteuse en se levant.
Les yeux fixés dans le dos de la visiteuse, Aïcha serrait les dents.
– Donc ces deux femmes ont comploté pour tuer mon fils ? murmura-t-elle. Je vais leur montrer qu’elles sont insignifiantes, ajouta-t-elle en se levant d’un bond.
