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06

- Viens, l'invite l'inconnue dans un sourire. Tu le découvriras par toi-même...

Cette dernière contourne Phœbé et la laisse plantée au milieu du trottoir plus ou moins bondé. Sans prendre le temps à la réflexion, la jeune femme lui emboîte le pas jusqu'à être à sa hauteur.

- Ah, la curiosité, chantonne-t-elle avant de s'enfoncer dans une ruelle à l'écart des regards.

Durant plus d'une demi-heure, l'étrangère se plaît à circuler à travers des allées étroites et inhospitalières, suivie de près par l'Afro-Américaine.

- On ne fatigue pas trop derrière ? lance-t-elle en s'arrêtant dans un cul-de-sac empli de poubelles

- Non, répond l'étudiante en analysant autour d'elle à la recherche d'une issue ou d'un quelconque passage secret.

- Tant mieux alors, parce que tu n'es pas au bout de tes peines.

Sur ces mots, elle bondit et attrape l'échelle de secours d'un ancien appartement.

- À toi, l'honneur. On va jusqu'au toit, déclare-t-elle

- D'accord..., accepte-t-elle avec hésitation.

En montant ses marches, Phœbé s'aperçoit que, malgré son apparence inutilisable, l'escalier s'avère être en parfait état. Elle n'a pas la moindre idée de l'endroit où elles vont atterrir seulement, elle est certaine que cela ne doit pas être très légal sinon ces marches ne seraient pas camouflées de la sorte.

Une fois sur le toit, la jeune Américaine se rend compte qu'il n'y a rien, strictement rien. Les rebords du toit sont surmontés de murs en béton d'au moins trois mètres pour une raison que Phœbé n'arrive pas à déterminer. Son accompagnatrice se dirige vers celui à gauche et prononce des mots d'une langue qui lui est inconnue. Un passage, capable d'accueillir une personne, s'ouvre.

- Mademoiselle, l'incite cette dernière.

Plus emprise à l'hésitation que la première fois, Phœbé reste immobile.

- Je ne vais pas te tuer, tu sais ? Puis, si tu veux rester là, il n'y a pas de soucis. En tout cas, moi, j'y vais.

- Attends ! Attends !

La jeune femme prend place face à l'entrée et attend les indications de son guide.

- Jambes en avant, bras croisés sur la poitrine, tête en arrière et c'est parti ! s'écrie-t-elle en la poussant à l'intérieur. Bon voyage !

Aspirée dans un énorme toboggan fermé, gris métallisé et droit, Phœbé ne peut s'empêcher de rigoler à gorge déployée. L'occasion de faire ce genre d'attraction ne s'est jamais présentée et même si, elle n'aurait sûrement pas accepté. La foule, mélangeant loups et humains : dominants et dominés, ne l'attire nullement.

Subitement, son corps rencontre une surface molle. Il est vrai que la jeune femme n'a pas pensé à l'atterrissage et elle est heureuse d'avoir été accueillie par ce matelas gonflable.

- Il semblerait qu'on se soit bien amusée, sourit une femme qu'elle reconnaît comme étant celle à la capuche. Moi, c'est Izïa, se présente-t-elle en lui tendant sa main.

Sublime. C'est le seul mot qui lui vint à l'esprit en observant la jeune femme blanche de près. Ses cheveux lisses et sobrement ondulés forment un dégradé de gris foncé et de gris plus clair. Ses prunelles cendrées s'accordent parfaitement avec sa peau hâlée. Son piercing au septum met son fin nez en valeur, de même pour son rouge à lèvres marron sur sa bouche pulpeuse. Des tatouages sur son cou sont perceptibles et ont l'air de s'étendre jusqu'à son buste.

Le lendemain matin, une tendre caresse vient effleurer son visage. D'abord dérangée, elle proteste en grognant puis, finit par se laisser faire.

- On se réveille, Bébé...

- Laisse-moi dormir, marmonne-t-elle en se mettant dos à sa mère.

Un doux sourire naît sur le visage de cette dernière en admirant sa fille, sa petite merveille. D'humeur câline, April se couche près de sa fille, qui, surprise, se retourne.

- Qu'est-ce que tu fais ? lui demande Phœbé d'une voix endormie.

- Je profite un peu de ma fille, répond-elle en glissant ses doigts sur sa chevelure crépue. Ça te dit que je te fasse des tresses et qu'on aille à la plage ?

- Les tresses, oui, la plage, non. Elle doit être bondée aujourd'hui, souffle-t-elle avant de glisser son visage dans le cou de la rousse.

La jeune femme inspire profondément l'odeur réconfortante dégagée par celle-ci. Le calme et la tranquillité s'installent dans la chambre jusqu'à ce que la porte s'ouvre et que la voix grave de son père y résonne :

- Nous sommes invités à déjeuner chez les Thompson, vous voulez y aller ?

Les deux femmes acquiescent. Cette famille est très proche de la leur, à tel point que souvent, l'une est fourrée chez l'autre. Phœbé s'entend parfaitement avec leurs deux enfants, encourageant les Brown à multiplier les interactions afin que leur fille garde un semblant de sociabilité.

Plus tard, la famille embarque en direction de Palm Spring se trouvant à presque deux heures de route de Los Angeles. Durant le trajet, la pluie s'invite. Les gouttes s'écrasent violemment contre les vitres, brouillant ainsi la vue extérieure, mais aussi, créant une chanson reposante et accompagnant la voix douce de l'artiste dans ses écouteurs. D'un air absent, Phœbé fixe les gouttelettes ruisselant sur la surface transparente jusqu'à disparaître. Un silencieux soupir franchit ses lèvres. Elle ne pense à rien. Elle ne ressent rien. Elle regarde ce spectacle sans aucune pensée morose, nostalgique ou même gaie. Sans aucun ressenti, sans aucune sensation. Son cerveau est aussi blasé qu'elle. Un second soupir lui échappe à cette constatation.

- Que se passe-t-il, bébé ? s'inquiète sa mère en la scrutant via le rétroviseur.

- Rien... Rien...

En vérité, depuis quelques jours, un indubitable sentiment de manque l'a envahie. Elle ne sait pas d'où il sort ni à quoi elle le doit, mais il est bien présent. Il est arrivé brutalement, du jour au lendemain sans cause logique. Elle ne dira pas que cela s'avère être une gêne, car de nature, son caractère la plonge dans cet état d'indifférence totale. Pourtant quelque chose a changé. Cette émotion se montre plus puissante, plus oppressante. Comme si, la raison de cette impression approchait et serait bientôt comblée.

- Phœbé ! Phœbé ! s'écrie avec enthousiasme une fillette en voyant l'Afro-Américaine sortir de l'habitacle.

À l'aide de ses deux petites jambes, la métisse traverse la vaste prairie et saute dans les bras de la jeune femme qui la rattrape avec aisance. Ses cheveux frisés viennent chatouiller le visage de celle-ci lorsqu'elle plonge sa tête dans son cou.

- Alors, Mademoiselle Kamelya ? lui demande Phœbé en suivant ses parents qui se dirigent vers la maison des Thompson.

Cette dernière, perdue au cœur d'une immense prairie elle-même entourée d'une épaisse forêt de sapins, s'accorde superbement avec la végétation environnante ; grâce à sa construction en bois, mais aussi avec les innombrables baies vitrées qui accompagnent la structure. D'une oreille attentive, l'étudiante écoute la petite fille vanter ses talents d'élève de primaire, notamment pour le français et les quelques cours d'arts plastiques qu'elle a par semaine.

- Et le reste des matières ? l'interroge Phœbé, moqueuse.

Le sourire de la fillette de huit ans, frôlant l'arrogance, disparaît pour être remplacé par une mine innocente. Phœbé sait parfaitement que les autres matières représentent un véritable défi pour Kamelya malgré leur facilité.

Une fois face à leur énorme porte transparente, donnant sur une pièce vide de meubles, mais possédant plusieurs portes et laissant apercevoir un balcon en bois à l'étage, elle salue l'homme de la maison, Stanley. Ce dernier est un Afro-Américain de presque quarante ans, du même gabarit que Jay et travaillant dans l'ingénierie en énergie. Bientôt, sa femme, Annisa, le rejoint. Une ravissante Indonésienne d'une trentaine d'années retrouvée dans le domaine de l'écologie tout comme April.

- Phœbé ! Phœbé ! s'exclame un petit garçon en bousculant ses parents de façon à bondir sur elle.

Plus difficilement, elle le perche sur son bras libre et lui embrasse bruyamment sa joue mulâtre.

- Toujours aussi populaire, commente Annisa en souriant. Bien, passons à table ! Au menu : du gado-gado, du nassi-goreng et du bami-goreng. Sans la viande, bien sûr, je l'ai remplacé par du poisson. Et en dessert des brownies Amanda.

- Tout pour nous faire grossir, plaisante April. Mais je te remercie pour l'effort flexitarien.

- Tu ne vas pas me remercier à chaque fois ? rigole-t-elle. Tes habitudes sont les miennes depuis bien longtemps maintenant.

Les femmes s'envoient des sourires complices et vont en tête de marche en direction de la salle à manger. À la suite de ce copieux et délicieux déjeuner typiquement indonésien, les Brown et les Thompson se retrouvent dans la salle de séjour. Sans tarder, Annisa intime à ses enfants de monter faire leur sieste quotidienne.

- Phœbé peut venir ? se risque Kamelya en faisant la moue et en se balançant d'un pied à l'autre.

Annisa jette un regard interrogateur à l'intéressée bien qu'elle connaisse déjà la réponse, qui est positive. Phœbé accepte toujours. Elle n'arrive jamais à résister à cette bouille suppliante et en plus de cela, la fatigue a toujours raison d'elle suivant un repas aussi riche.

À l'étage, la fillette consent à partager son lit avec son frère qui réclame également la présence de la jeune femme. Celle-ci s'installe au milieu des deux enfants qui la serrent tel un nounours. Elle sourit en fixant le plafond blanc. Ces deux petits font exactement le travail souhaité par ses parents. La garder dans le minimum de sociabilité requis pour être accepté par la société. Le minimum de sociabilité pour qu'elle ne devienne pas une âme solitaire. Ou du moins pour qu'elle ne devienne pas dépendante à la solitude.

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