L'amour Impossible
Mme de Gesvres portait la sienne sur de magnifiques épaules avec le stoïcisme d’une beauté qui répond à tout. Elle avait été une des femmes les plus à la mode de Paris. Avant le temps où l’on s’abdique, et où le sceptre de la royauté des salons, frêle porte-bouquet en écaille, passe à des mains plus jeunes, elle s’était éloignée d’un monde qu’elle voyait toujours, mais par plus rares intervalles.
Elle quittait moins sa douillette de soie grise et ses pantoufles de velours, froc et sandales de ces belles ermites de boudoir. On s’étonnait de ce changement accompli dans la vie de l’étincelante marquise : on ne se l’expliquait pas. Belle et coquette, si elle sentait sa beauté décliner, si elle n’y croyait plus, pourquoi tant de coquetterie encore ? et si cettecoquetterie était justifiée, pourquoi cet éloignement du monde ? Ah ! sans doute, elle était coquette ! mais elle était plus que cette jolie chose qui nous plaît tant et qui nous désole.
Elle sonna, – une grande fille, faite à peindre, l’air hardi et sournois tout ensemble, et qu’elle appela Laurette, entra pour la déshabiller. Mme de Gesvres avait pour habitude de ne jamais adresser la parole à ses femmes de service. Elle évitait par là la glose d’antichambre sur l’humeur de Madame. Elle tenait ses pieds à Laurette qui, un genou à terre devant elle, se mit à délacer ses brodequins. Pendant ce temps, Mme de Gesvres lisait une lettre qu’elle jeta sur la cheminée après l’avoir lue et sans lui faire l’honneur de la froisser.
– Qu’il vienne, puisqu’il y tient, – dit-elle. – Qu’est-ce que cela me fait ? Il ne m’ennuiera pas plus que tous les autres. – On le voit, ce soir-là, l’ennui était le mal de Mme de Gesvres. Hélas ! c’était son mal de tous les jours. Non pas seulement cet ennui fatigué, nerveux, assoupi, qui vient des autres, mais celui que certaines âmes portent en elles-mêmes, comme une native infirmité.
C’est qu’elle était justement de cette race d’âmes frappées dès l’origine et dans lesquelles l’éducation, le monde, l’oisiveté orientale des mœurs élégantes, tout avait entretenu et développé cette disposition à l’ennui dont elle se sentait la victime. Si elle avait eu quelque passion, des regrets affreux – car c’est à cela qu’aboutit l’inanité des souvenirs – auraient du moins été une proie pour sa pensée ou ses sentiments, deux choses si voisines dans lesfemmes ! Mais de passion, en avait-elle jamais eu, et quoiqu’elle le dit, pouvait-on la croire ? Quand elle affirmait, en montrant ses dents nacrées, qu’elle avait aimé autrefois avec énergie et qu’elle avait horriblement souffert, on ne pouvait s’empêcher de douter qu’il y eût eu jamais quelque chose de violent dans un être si parfaitement calme, et d’horrible dans un être si parfaitement beau.
Et pourtant, oui ! elle avait aimé. Au début de
la vie, et peu de temps après son mariage, la
trahison d’un amant lui avait brisé le cœur.