Chapitre 6

Mich me regarde dans les yeux et répond.

- Oui mon cœur, je compte rester un très long moment. Il dépose ensuite Sacha par terre. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai la fâcheuse impression que ce n’est pas à Sacha qu’il répondait mais à moi. Comme s’il me faisait une promesse silencieuse. Pourquoi est-ce que je pense ainsi ?

Je n’en ai pas la moindre idée. J’avale difficilement ma salive et je m’avance dans le salon.

- Cora, me dit Pénélope, je commençais vraiment à m’inquiéter.

- Mais pourquoi voyons ? Ma cabane n’est pas si loin.

- Oui mais bon tu tardais à venir. Devine qui est là dit-elle en allant lui prendre la main. Mich !

- Je sais, nous nous sommes croisés ce matin.

- Tu avais raison finalement.

- Ouais.

Je me dirige vers la table et j’essaye d’éviter Mich. Comble de malchance, nous sommes assis côte à côte.

- Ça me fait plaisir de te voir me dit-il.

- Ouais.

Je baisse la tête gênée et j’essaye de me consacrer uniquement à mon assiette, j’essaye d’oublier qu’il est tout près de moi, j’essaye de ne pas respirer cette odeur enivrante qui se dégage de lui. J’essaye de faire dormir tous ces papillons qui se sont levés dans mon ventre. Mais avec lui à côté de moi c’est quasiment impossible.

- Alors Mich, qu’est-ce que tu as fait pendant toute cette année ? Nous étions morts d’inquiétude.

- J’ai erré ici et là.

- Erré ?

Je le regarde du coin de l’œil, moi aussi je suis intéressée par ce qu’il a bien pu faire pendant toutes ces années. En plus de ça, son physique à changer, même son mental à changer, je le sens, Mich n’est plus le même.

- J’ai fait beaucoup d'exercices.

- Oh ça je l’ai remarqué.

- On l’a tous remarqué souligne Léa provoquant ainsi l’hilarité générale. Non mais sérieusement tu es parti pour aller faire du sport Mich ?

- Non. J’avais besoin de me retrouver, de prendre du temps pour moi.

- Je sais, moi aussi après le deuil de Annie, j’avais besoin de me retrouver, je me sentais tellement triste. Mais je ne pouvais pas me laisser aller tu sais très bien ce qui s’est passé par la suite. Mais j’aurais tellement voulu traverser cette tourmente avec toi. T’aider à te sortir de là.

À la mention du nom de la petite amie décédée de Mich, je vois son visage se décomposer, Pénélope essuie quelques larmes de son visage, Léa elle pose ses couverts et Calvin regarde sa femme et son ami, quelque chose se contracte dans mon ventre. Elle ne m’a vraiment jamais aimée. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle croyait que Mich pourrait la quitter pour moi. Une idée totalement ridicule.

- Je voulais gérer la douleur à ma manière dit-il.

- Ne t’en fais pas, je te comprends parfaitement.

- Bon et si nous évitons de parler de tout ce qui est triste dit Léa, après tout nous venons à peine de retrouver Mich.

- Tu as raison, pardon dit Pénélope. Je lui souris et je lui prends le bras.

Je sais parfaitement ce que c’est que de perdre quelqu’un que l’on aime. Je vis avec cette douleur depuis près de dix ans maintenant.

- Cora me dit Calvin.

Je me tourne vers lui pour le regarder.

- Ça tombe bien que tu sois là. Je parlais justement de l’enquête à Mich.

Je me raidis tout de suite, je sens que ce qui va suivre ne va pas me plaire.

- Je ne voulais pas t’envoyer là-bas toute seule, maintenant que Mich est là vous pouvez y aller ensemble.

J’ai la gorge nouée, faire tout un voyage avec Mich tout seul, lui près de moi.

- Non. Tu sais je peux parfaitement m’en charger toute seule ce n’est rien de bien compliqué.

- Je sais, mais tant qu’on ne connaît pas de quel type de danger il s’agit, je préfère ne pas m’aventurer à te laisser aller là-bas toute seule.

- Mais puisque je te dis que je n’ai pas besoin de son aide ! Hurlais-je.

Tout le monde se tourne vers moi, et me regarde d’un air ahuri. Même Sacha me regarde sans toutefois comprendre ce qui m’arrive. Le pire est que moi que je ne peux tout simplement pas leur dire que je refuse de me retrouver toute seule avec Mich. Et d’ailleurs, ce dernier lance sur moi un regard interrogateur. Je parcours la salle à manger du regard. Et je dis.

- Désolée. Ce que je voulais dire c’est qu' il vient à peine de rentrer, il doit en profiter pour se reposer et toi tu veux déjà l’envoyer en mission.

- Ne t’en fais pas me rassure Mich. Je peux tout à fait recommencer à aller en mission.

Je me force à sourire et j’hoche la tête. Je sais parfaitement que tu peux aller en mission, le problème est que je ne veux pas y aller seule avec toi. Je ne veux pas y aller avec toi tout court.

- Tu devrais alors demander à Travis et à Floyd de nous venir aussi, dis-je de façon désinvolte. Ce sont de très bons pisteurs.

Calvin lève la tête vers moi et semble réfléchir un instant.

- Oui, tu as raison et au moins comme ça, vous pourrez vous protéger les uns les autres. Oui, on va faire ça.

Je hoche la tête soulagée et je le remercie intérieurement. Mich continue à lancer sur moi, ce regard incrédule, ce regard d’incompréhension. Est-ce qu’il a compris que je ne veux pas du tout me retrouver seule avec lui ? Je l’espère de tout mon cœur, car au moins comme ça, je n’aurais pas à le lui expliquer.

Le repas s’achève et les hommes vont au salon, Sacha va jouer avec Adrian. Ça me fait plaisir que malgré tout ce que les gens peuvent dire sur lui, elle n’en a rien à faire. Elle continue de jouer avec lui, ce petit est un ange. C’est tellement dommage que tous ces idiots ne puissent pas passer au-delà de leurs préjugés pour voir à quel point il est génial. Tandis que les hommes vont au salon pour discuter. Léa, Pénélope et moi, nous rendons dans la cuisine pour faire la vaisselle. Pénélope s’approche de moi et touche doucement l’épaule.

- Eh ! Tu es sûre que ça va ?

Je dis oui de la tête.

- Je t’ai sentie un peu à cran pendant le repas.

- Ne t’en fais pas, je suis toujours comme le jour de l’anniversaire de la mort de Simon, ça me rappelle toujours de mauvais souvenirs.

- Je suis désolée, dit-elle en me prenant dans ses bras.

Je me sens minable comme de me servir de la mort de mon mari comme excuse, mais qu’est-ce que j’y peux ? Je ne peux tout simplement pas lui dire que je suis ainsi à cause du petit ami de son amie décédée. Qu’à chaque fois que je suis près de lui, ça me perturbe à un point où j’arrête de réfléchir de manière logique. Elle va me regarder comme une folle. Je demande intérieurement pardon à Simon. Une fois la vaisselle achevée, je vais au salon dire aurevoir à Calvin et Mich. Ce que j’y trouve m’arrache quelques larmes. Je trouve qu’ils ont posé une bouteille de vodka sur la table et trois verres. La bouteille préférée de Simon.

Nous avons créé cette coutume à sa mort, à cette date, nous réunissons tous les trous et nous buvons cul sec un verre de sa liqueur préférée en sa mémoire. C’est la seule fois où Calvin et Mich s’autorisent à boire.

 Je souris derrière mes larmes.

- Tu croyais que nous avions oublié ? Me demande Cal.

Mich remplit les trois verres et m’en tend un. Nous levons tous nos verres.

-  À Simon dis-je.

- À Simon répètent-ils en chœur.

Puis nous avalons cul sec les verres de vodka.

- Putain ça arrache dit Calvin.

- Ouais répond Mich en toussotant.

- Trouillards, dis-je en me moquant d’eux.

Je dépose mon verre et j’appelle Sacha.  

- Il est temps pour nous de rentrer leur dis-je.

- Mich aussi rentre, vous pouvez y aller ensemble.

- Je ne...

- Ouais allons-y me coupe celui-ci.

- D’accord dis-je dans un soupir.

Mich m’ouvre la porte, je me tourne pour dire au revoir à Pénélope et Léa et je sors. Sacha court devant nous, l’insouciance qu’on a à cet âge me fascinera toujours. Mich marche près de moi, je sens son regard posé sur moi, je lève la tête vers lui et je le regarde.

- Pourquoi me regardes-tu ainsi ?

Il ne me répond rien et continue à me regarder comme si j’étais un fantôme, agacée, j’accélère le pas sans voir le petit creux qui se trouve là juste devant moi.

- Attention crie Mich.

Trop tard, je me retrouve étendue par terre, avec la cheville qui me fait atrocement mal.

- Aïe. Dis-je en me massant la cheville.

Mich court vers moi.

- Maman crie Sacha en revenant vers nous.

- Tout va bien ma chérie.

- Laisse-moi voir, dit-il en s’accroupissant en face de moi.

- Non. C’est rien de grave dis-je en me relevant.

 Lorsque je m’appuie sur ma cheville, elle recommence à me faire atrocement mal.

- Ce que tu peux être têtue putain, accroche toi à moi.

-  Laisse-moi je peux m’en sortir toute…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que je suis soulevée dans les airs par des bras puissants.

- Mich repose moi tout de suite.

- Tais-toi Cora, regarde ta fille, elle est morte de peur. Alors tu vas la fermer et me laisser faire.

 Je me tais et je me renfrogne, je cale mon visage contre son cou et je laisse faire. Je respire son odeur virile, et je suis comme transportée, je ferme les yeux, cela fait tellement longtemps que ne me suis pas aussi bien sentie bien dans, tellement longtemps qu’aucun homme ne m’a prise dans ses bras. Je me surprends même à somnoler, je suis réveillé par la douce voix de Mich qui me murmure que nous sommes arrivés, il me dépose doucement par terre. J’ouvre la porte et lorsque je me tourne vers lui pour lui dire au revoir, il me devance et entre dans la maison avec nous.