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Jeudi 10 novembre 2016
Aujourd'hui nous sommes jeudi. Et qui dit jeudi, dit cours de danse avec Cass. Autrement dit, c'est le moment de la semaine que j'attends avec une impatience démesurée car je sais que je vais passer deux heures à me vider la tête et à laisser mon esprit et mes membres prendre possession de mon corps. Je n'exprime jamais autant de sentiments et d'émotions que lorsque je danse et même si personne ne les comprend, ce n'est pas grave, l'important c'est que je puisse les extérioriser. Aujourd'hui, le prof veut nous faire danser sur Chandelier de Sia. Cliché ! Je réprime un soupir et tourne mon regard vers Cass qui sourit en coin. Elle connaît mon ressentiment envers cette musique et cette chanteuse qu'on entend partout, tout le temps. Je n'aime pas faire comme tout le monde, penser comme tout le monde et écouter la même chose que tout le monde. Le prof nous demande d'improviser une danse contemporaine en se laissant bercer par la musique. Re-cliché ! Lorsque la musique démarre et que je ferme les yeux, je me laisse doucement happer par le côté sombre et torturé des paroles, si bien que rapidement, je n'entends ni le prof me conseiller, ni Cass me parler. Non, je ne suis plus avec eux dans cette salle, je m'envole doucement au plus profond de moi et je laisse ma détresse s'exprimer. Je pense à la froideur dont mère m'a toujours gratifiée, à l'ignorance et au désinterêt que j'ai toujours suscité chez mon père et je me laisse partir. Mes frustrations s'expriment à travers mes mains et mes bras, ma tristesse guide mes jambes et ma tête subit les assauts de ma colère. C'est comme si je redécouvrais cette musique, comme si je comprenais enfin le sens qu'ont ces mots sur moi et mon histoire. Lorsque le volume sonore diminue, je reviens à moi et je rouvre les yeux, abasourdie par toutes les émotions que j'ai ressenties. Je m'isole légèrement car il me faut quelques minutes pour me remettre et je rejoins ensuite Cass qui prend immédiatement ma main dans la sienne et la serre fort. Avec elle, je n'ai pas besoin de m'expliquer ou de me justifier. J'ai le droit de ressentir et d'exprimer tout ce que je veux.
Cassiopée est la personne la plus ouverte et respectueuse que je connais. Elle ne me juge jamais et cherche toujours à me tirer vers le haut tout en respectant mes failles. Je crois que je lui serai éternellement reconnaissante d'être mon amie ! Nous nous sommes rencontrées au lycée, lorsque notre professeure d'anglais nous a placées à côté et malgré toutes nos différences, nous ne nous sommes jamais lâchées depuis ce jour. Même lorsque je suis partie vivre un an au Pays de Galles pour étudier. Même lorsque Cass a déménagé 6 mois à plus de 450 km d'ici pour effectuer un stage. Et même lorsqu'elle a décidé de partir faire le tour du monde avec son petit ami, en n'achetant qu'un billet aller. Mais elle a fini par rentrer et nous nous sommes retrouvées comme au premier jour. Et pourtant, personne n'aurait parié sur notre amitié. Cassiopée est exubérante, extravertie, délurée, fêtarde et ne se soucie pas du poids des conventions sociales. Elle jure et use d'un vocabulaire plutôt... familier tandis que mon éducation stricte m'a enfermée dans un style guindé. On me définit souvent comme quelqu'un de coincé, limite bourgeois et certains diront sans hésiter que je suis donneuse de leçon. Mais Cass leur rétorque toujours que je suis généreuse, droite, honnête, drôle, investie et passionnée par tout ce que j'entreprends. Ma meilleure amie est mon avocat le plus efficace ! Pour être tout à fait honnête, je dois bien avouer que je ne suis réellement détendue et moi même qu'en sa présence. Il n'y a qu'avec elle que je m'autorise à me laisser aller et elle m'a plus d'une fois dit avec fierté qu'elle aime être celle qui me connaît vraiment. Nos caractères sont certes aux antipodes mais nos physiques le sont d'autant plus. Ses longs cheveux clairs, presque blonds entourent un visage allongé sublimé par des yeux marrons brillants d'un éclat de malice alors que ma crinière de cheveux châtains foncés et bouclés apporte une touche pulpeuse a mon visage fin et mes yeux verts émeraude. Moi qui désespère de n'avoir jamais atteint 1m60, Cass affiche fièrement au moins 7 centimètres de plus ! Alors qu'elle parade plus ou moins fièrement avec un corps longiligne et peu de forme, mes formes pulpeuses et ma taille marquée me différencient encore plus d'elle. En bref, elle est mon Ying, je suis son Yang et notre équilibre n'est pas possible l'une sans l'autre.
A la fin de notre cours de danse, Cass et moi nous dirigeons en direction de son appartement qu'elle occupe avec Maxime, son petit ami depuis maintenant plus de 4 ans. Tous les jeudis, après notre cours hebdomadaire, nous mangeons ensemble, une fois chez moi, une fois chez eux. Cette semaine, nous allons donc chez ma meilleure amie et mon ventre gargouille déjà ! Maxime nous prépare toujours un bon repas que nous dégustons tous les trois. Je dis "déguster" car Maxime est un véritable cordon bleu. Sans blague, je n'ai jamais mangé des plats aussi bons que les siens et je pourrais vendre mon âme pour me délecter à nouveau de son fameux poulet au citron.
-A ton avis, qu'est ce que Maxime nous a préparé de bon ? J'interroge ma meilleure amie
-Je crois qu'il m'a parlé de nouilles Thaï ou un truc du genre qu'il a ramené de notre voyage. Tu te rappelles, il avait pris des cours de cuisine là-bas et... putain ce que c'était bon !
-Alors accélères, j'ai faim ! Je lui réponds en riant. Sérieusement, tu sais que tu as de la chance de l'avoir ton Maxime?
-C'est plutôt lui qui a de la chance de m'avoir ! Regarde ce corps de rêve, dit-elle en tournant sur elle-même, regarde moi ce cul de déesse ! Et puis, pour ne rien gâcher, je suis drôle, intelligente et j'ai beaucoup d'esprit...
-Et une modestie à toute épreuve !
Cass ne trouvant rien à me répondre, elle me tire la langue de la manière la plus puérile qui soit. Après quelques minutes de marche, nous arrivons au pied de son immeuble et lorsque l'ascenseur ouvre ses portes sur le deuxième étage, mon ventre gronde d'impatience en sentant l'odeur exquise qui s'échappe du petit appartement à ma droite. En entrant, je lance un "coucou !" à Maxime qui ne me répond pas comme d'habitude, je m'avance vers lui pour lui planter un bisou sur la joue tandis qu'il me sourit comme d'habitude, je me débarrasse de ma veste comme d'habitude puis je m'occupe de mettre la table pour nous 3 comme d'habitude. Cass, quant à elle, suit Max comme son ombre tout en lui racontant en détails sa journée. Son débit de parole est impressionnant ! Comme tous les soirs, son petit ami la fait taire d'un délicat baiser. Je soupire silencieusement en les regardant. Ces deux-là sont parfaits ensemble et ils se complètent divinement bien. Je les envie tellement...
En passant à table, Cass me lance:
-Tu ne devineras jamais qui j'ai croisé hier à la gare ?
-Euuuuh... j'en sais rien du tout ! Un indice ?
-Tu le connais très bien, il a un cul d'enfer, un courage proche du néant et une lâcheté sur-développée, me répond t-elle.
-Damien... je lâche en levant les yeux au ciel.
Je suis sortie 3 ans avec Damien avant qu'il ne rompe avec moi d'une manière plutôt... originale. Ne souhaitant pas, je cite, "me faire de la peine", il a tout simplement changé de numéro de téléphone et fait le mort pendant un mois et demi. Habitant à une centaine de kilomètres pour ses études, je ne pouvais pas me déplacer pour avoir des explications. Pour couronner le tout, tout cela s'est passé au mois de décembre, le mois de mon anniversaire, de Noël et de la Saint Sylvestre. J'ai donc passé les fêtes de fin d'année à répondre aux questions indiscrètes de mes proches, à faire semblant que tout allait bien et à lui trouver des excuses pour justifier son absence et ma tristesse. Pathétique. Il a fini par répondre à un de mes nombreux appels début janvier et nous avons rompu.
-Ouais ! Il m'a demandé de tes nouvelles, non mais quel trou du cul celui-ci !!, lâche Cassiopée
-On s'en fout de lui, continue Maxime, il ne vaut pas mieux que tes autres ex et franchement, tu te portes bien mieux sans eux.
Il a tout à fait raison bien sur. Il n'empêche que je ressens un pincement au cœur en pensant à mes relations passées car j'admets n'être tombée que sur hommes lâches et allergiques à l'engagement. Damien remporte d'ailleurs la palme d'or avec ses incessants "pas de projets, on ne sait pas si on va rester ensemble". Je vous assure qu'au bout de trois ans de relation, cette phrase est légèrement... irritante voir même carrément vexante ! Je n'ai jamais eu la chance de connaître le bonheur simple du quotidien partagé avec amour comme le vivent les deux complices en face de moi. Bien sûr, au début toutes mes relations me paraissaient idylliques et j'étais vraiment contente de ce que je vivais mais rapidement, je me rendais compte que certaines paroles, attitudes ou certains gestes me déplaisaient. Et évidemment, je faisais l'autruche jusqu'à ce que ces relations explosent.