2
-Je... je me demandais pourquoi elle n'était pas à tes côtés ce weekend. C'est vrai, tu m'as dit qu'elle était folle de toi et pour tout te dire, quand j'ai pris l'avion pour te rejoindre, j'appréhendais énormément ne serait-ce que de l'apercevoir. Mais tu... tu étais seul. Quel genre de femme laisse son mari affronter une telle épreuve tout seul ?
-Le genre de femme aigrie et froide. Le genre de femme qui ne me demande aucune nouvelle alors qu'elle sait très bien que mon père est en train de mourir d'un putain de cancer. Le genre de femme que je n'ai même pas pris la peine de prévenir quand les médecins m'ont annoncé la nouvelle.
Ses mots me figent. Mais où est passée la femme aimante et déterminée qu'il a rencontrée dix ans plus tôt ? Mon regard interloqué le pousse à continuer.
-Au début de notre vie en France, tout se passait plutôt bien. Elle était heureuse que je l'ai suivie et moi... je respirais loin de ma vie de merde. Puis les années ont passé et elle a compris que je ne l'aimais pas. Elle a essayé de me faire miroiter l'argent et la réussite mais je ne suis jamais tombé amoureux d'elle. Elle était jolie, agréable, quelque fois drôle mais elle n'a jamais été exceptionnelle à mes yeux. Alors on s'est enfermés dans une sorte de cohabitation qui sauvait les apparences auprès de ses parents qui nous payaient tout et j'ai attendu qu'elle mette fin à la situation. Mais ce jour n'est jamais venu. Moi, je n'avais pas le droit de la laisser tomber. Elle a été élevée dans une famille très bourgeoise qui ne tolère pas le divorce et qui ne jure que par les apparences. Elle s'est battue pour me faire accepter, je n'avais aucun droit de la discréditer aux yeux de ses parents.
-Tu veux dire que... tu restes avec elle par pitié ? Mais Ethan, c'est pire que tout !
-Même si je ne l'aime pas, j'ai de l'estime pour elle. Je n'ai aucun droit de détruire sa vie sur un coup de tête. Elle m'a offert une vie dorée sur un plateau d'argent. Personne n'avait jamais rien fait de la sorte pour moi. Et puis... ses parents... ils contrôlent chaque aspect de ma vie. Je suis coincé.
Sa dernière phrase me cloue sur place mais Ethan ne me laisse pas le temps de tergiverser. Il reprend rapidement la parole.
-Elle et moi... on... on s'est enfermés dans une relation sans sentiment ni échange. Elle a honte de mes origines et a toujours mis un point d'honneur à rester le plus loin possible de ma vie crasseuse. Alors le jour où je lui ai annoncé que mon père était malade, elle m'a demandé d'agir en toute discrétion pour ne pas attirer l'attention sur cette partie de ma vie. Jamais de toute ma vie je ne me suis senti aussi seul. Mais je crois que c'était simplement le prix à payer pour avoir pactisé avec le diable.
Je m'apprête à ouvrir la bouche mais il me coupe net.
-Candice, je sais que ma situation est carrément merdique. Il y a beaucoup de choses que je dois encore t'expliquer et je te promets que je le ferai. Mais pas aujourd'hui, s'il te plait, laisse-moi le temps de digérer les derniers évènements. Je t'en demande énormément, j'en suis conscient mais...
-Promets-moi juste que tu ne la touches plus. Je veux bien que tu fasses semblant de vivre avec elle mais s'il se passe encore quelque chose entre vous, c'est au-dessus de mes forces, je souffle la voix tremblante.
Ethan relève la tête et plante intensément ses iris dans les miens. Il prend mon visage entre ses mains et mon cœur est en suspens.
-Il ne se passe plus rien avec elle depuis bien longtemps. De toute façon, depuis le jour où tu as passé la porte de mon bureau, il n'y a plus que toi. Je t'ai détestée pour ça, oh que oui ! Tu as pris le contrôle de mon esprit, tu m'as rendu fou de toi et tu t'es enfuie à chaque fois que je m'approchais. Et malgré ça, tu as continué de te faufiler encore plus profondément dans mon âme. Je... je suis incapable de penser, de regarder ou de toucher quelqu'un d'autre que toi, gorgeous.
Quand ma bouche s'écarte pour lui répondre, je ravale les trois petits mots qui flottent dans mon cœur. Je ne peux pas lui les dire maintenant, sans être sûre que nous ayons un avenir ensemble. Je me contente alors de l'embrasser le plus amoureusement possible. Mais une ombre plane toujours sur mon cœur et je refuse de rester dans l'incertitude.
-A-alors...p... pourquoi est-ce que tu m'as dit n'avoir que quelques nuits à m'offrir ? Le soir où...j'ai... j'ai découvert ton alliance, tu.. tu m'as brisé le cœur et je... je ne suis pas capable de gérer ce genre de relation.
Le corps d'Ethan est toujours allongé contre le mien et je remarque qu'il fronce les sourcils quand ses doigts s'arrêtent sur mon organe vital totalement affolé. Quelques secondes restent en suspens puis il reprend enfin la parole.
-J'ai été con. J'ai paniqué, je me suis senti comme la dernière des merdes quand j'ai lu la déception dans tes yeux et je ne voulais pas te faire des promesses que je ne pouvais pas tenir.
Mon monde s'écroule en une seconde à peine et je suffoque.
-Si tu me reposais la même question aujourd'hui, voici ce que je te répondrais : je ne peux pas t'offrir mon quotidien mais je peux te promettre que mon cœur, mon corps et mon âme sont à toi. Je te promets une bulle rien qu'à nous, des mots sincères et des moments brûlants parce que c'est tout ce que je peux te donner. Chaque seconde que j'ai de libre t'est réservée et je passerai toutes les autres à penser à toi. Et si tu as peur que ce ne soit pas suffisant, sache une chose, tu es partout avec moi.
Quand Ethan essuie mes joues avec ses pouces, je réalise que je pleure. Je suis submergée par toutes les émotions qui m'assaillent et je ne parviens pas à assimiler tout ce qu'il vient de m'avouer. Je bégaye, je perds mes mots, je perds la raison.
-Tu... tu... je... tu... tu veux dire... que...que...
-Que je crève loin de toi, Candice.
Brusquement, j'attrape sa nuque et je rapproche son visage pour écraser mes lèvres sur les siennes. Notre baiser fiévreux a le goût du soulagement et de l'espoir. Je n'ai jamais rien goûté de si bon. Quand Ethan passe ses mains derrière mes épaules pour me coller contre son torse nu, je l'entends me susurrer des mots doux, comme dans un rêve.
-Fais-moi confiance Candice, je ne vois que toi.
La matinée passe à une vitesse folle. Nous trainons un long moment au lit, à rire et à discuter paisiblement. Ethan découvre petit à petit mon univers et il semble s'en émerveiller... à une exception prête. L'attrape-rêve que j'ai accroché au-dessus de mon lit semble le laisser bien perplexe vu toutes les réflexions désobligeantes qu'il me lance. Je ris face à chacune de ses remarques bien senties et je ne flanche pas lorsqu'il me demande de décrocher cette décoration aux plumes blanches. Quand mon ventre commence à gronder, Ethan se lève et la vision de son corps pratiquement nu, seulement vêtu d'un caleçon noir qui dévoile sublimement tous ses muscles me coupe la respiration. Son impressionnante carrure, son imposant tatouage sur le flanc de son torse, ses longues jambes musclées, son regard transcendant... tout chez cet homme enflamme mon désir. La bouche sèche, je l'observe se baisser pour fouiller dans sa valise et en sortir un vêtement gris clair. Il enfile un bas de jogging en coton souple qui lui arrive en bas des hanches et je manque de défaillir.
-Ne me regarde pas comme ça Candice où je te culbute sur le champ !
Je rougis immédiatement, trop gênée d'avoir été prise en flagrant délit. Je baisse les yeux, sort du lit et passe devant lui pour rejoindre la cuisine. Il m'assigne une petite tape macho sur les fesses qui me fait lever théâtralement les yeux au ciel pendant qu'Ethan ricane derrière moi. Quand nous rejoignons la cuisine, il m'attrape délicatement le bras pour m'enlacer.
-Voici ce que je te propose : pendant que tu nous cuisines un petit truc, je m'occupe de nous préparer un petit coin à nous. Ok ?
Quand il termine sa phrase, sa main droite descend sensuellement le long de mon dos en parsemant ma peau d'exquis frissons avant d'atteindre mes fesses qu'il empoigne fermement.
-Dites-donc Monsieur-le-grand-patron-je-fais-ce-que-je-veux, vous ne seriez pas un peu macho sur les bords ? je lui demande avec un sourire en coin tout en essayant de chasser sa main, en vain.
-Pas du tout. Allez file en cuisine ! lâche-t-il d'une voix exagérément grave.
C'est ainsi que je me retrouve seulement vêtue d'un débardeur et d'un petit short, à préparer des pancakes et une salade de fruits pour Ethan qui est en train de faire je-ne-sais-quoi dans mon salon, toujours torse-nu. Quand je le rejoins avec un plateau à la main une vingtaine de minutes plus tard, son regard pétillant me fait comprendre que tous les obstacles qui nous attendent ne valent rien face à ce moment. Je pose le fruit de mon travail sur la petite table basse en face de lui et m'installe à ses côtés. Il me tend ma tasse de thé fumante et s'attèle à tartiner quelques pancakes avant de m'en tendre un. Il en avale ensuite plusieurs puis attrape la télécommande pour lancer un épisode de How I Met Your Mother.
Je tourne la tête vers lui, légèrement surprise de ce choix.
-J'adore cette série ! C'est un des rares trucs qui arrive à complètement me changer les idées l'espace de quelques minutes, m'avoue-t-il légèrement gêné.
Imaginer Ethan s'esclaffer en regardant les folies de Barney me fait sourire. Je crois n'avoir jamais autant souri que depuis ce matin, à profiter des plaisirs simples de la vie le cœur léger. Après les heures sombres qui ont marqué mon quotidien, je respire à nouveau sereinement.
-Par contre, est-ce que ça te dérange qu'on la regarde en VO ? Je n'ai rien contre vous les français, mais question doublage, vous êtes sacrément nuls !
J'acquiesce en m'esclaffant et m'installe tout contre lui. Je n'ai jamais ressenti ce besoin d'être constamment connectée avec quelqu'un d'autre qu'Ethan. Dès que je suis près de lui, je dois le toucher, l'effleurer, le caresser... et il ne semble pas s'en plaindre puisque ses doigts sont toujours posés quelque part sur ma peau. Il passe son bras derrière mes épaules et sa main commence à se balader distraitement sur mon omoplate. Qu'est-ce que je vous disais ?
Le premier épisode démarre et je remarque rapidement qu'Ethan me lance de furtifs petits regards en coin alors que je sirote tranquillement mon thé. A peine trois minutes après que Ted et ses acolytes soient apparus à l'écran, il se tourne vers moi, l'air passablement agacé.
-Mange, Candice.
-Qu...quoi ? je réponds, totalement surprise par sa demande.
-Je t'ai donné un pancake et tu n'y as pas touché. Tu...
-Mais je...
-Non, laisse-moi finir, me coupe-t-il sur un ton sec. Tu n'as pratiquement rien avalé depuis que tu m'as rejoint samedi. Tu crois que je n'ai pas remarqué ton petit manège ? Soit tu tortilles la nourriture du bout des doigts pendant de longues minutes avant de l'abandonner discrètement dans un coin, soit tu ne t'en approches même pas. C'est quoi le problème ?
J'ai envie de lui dire que je ne veux plus ressentir mon estomac rempli comme j'ai senti mon cœur débordé par toute la souffrance qui me submergeait il y a quelques semaines. J'ai envie qu'il sache que depuis que je ne mange plus, je ne ressens plus. J'ai envie de lui dire que je ne me suis jamais sentie aussi détachée de moi-même depuis que je m'oublie. Mais je ne suis pas sûre qu'il puisse comprendre tout cela.