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Chapitre 7

Ambre

Depuis ce matin la rumeur n'a cessé de grandir dans tout le lycée : les résultats pour l'université sont arrivés. C'est donc stressés au possible que Cameron et moi débarquons dans la maison, le cour menaçant de traverser notre poitrine. Mon père et Mia sont autour de la table de la cuisine, accompagnés de Jayden, debout, un verre d'eau à la main. Lorsque nous entrons dans la pièce, ils cessent tous de parler, attendant certainement que nous remarquions les lettres posées sur le plan de travail avec nos noms inscrits dessus.

- Regardez ce qui est arrivé ce matin, finit par lancer Mia, apparemment aussi nerveuse et

impatiente que nous.

Je jette un coup d'œil à mon demi-frère, qui se tient droit comme un piquet à côté de moi. Notre avenir se joue aujourd'hui, à cet instant précis. Dans cette cuisine avec, comme témoin, toute la famille qui attend, le regard rivé sur nous.

- On l'ouvre ensemble.

Le cour au bord des lèvres, j'acquiesce et prends la lettre que me tend Cameron. Nous nous regardons une dernière fois, un petit sourire crispé sur le visage puis déchirons en même temps l'enveloppe.

- Yes! rugit Cameron.

- Tu es pris ? C'est pas vrai ? s'exclame sa mère.

La joie se répand dans toute la pièce, mêlant des cris et des larmes. Je devine des embrassades sincères, chaleureuses, heureuses. Moi, je reste plantée là, ne pouvant détacher le regard des quelques mots inscrits sur le bout de papier que j'ai entre les doigts : liste d'attente. Ça veut dire quoi, liste d'attente ? Ma respiration se fait de plus en plus irrégulière. Je manque d'air. Je ne suis pas prise. Je crois que je vais vomir. Il me faut de l'air. J'ouvre la bouche, complètement paniquée, et essaie de récupérer un peu d'oxygène, mais rien. Je ne suis pas prise, putain. Je vais pleurer. Là, à cet instant précis, dans la cuisine et entourée de toute ma famille, je viens de voir s'envoler mon rêve d'aller à Seattle. Pas de bande de potes dans la cité émeraude, pas de colocation avec mes meilleures amies, pas de nouvelle vie dans une nouvelle ville. Rien.

- Chérie, tu vas bien ?

La voix de mon père se fait lointaine, presque irréelle. Je suis complètement abasourdie par la nouvelle. Il faut que je sorte d'ici, il faut que je fasse quelque chose sinon je vais tout casser. Je jette le bout de papier par terre, le piétinant presque au passage et sors en trombe dans le jardin. J'entends des voix qui tentent de me rattraper mais n'écoute pas et cours en direction de la plage. Je m'arrête au niveau de la mer, les sandalettes recouvertes de sable mouillé, et savoure le mouvement des vagues glisser sur ma peau. Du revers de la main, jessuie mes joues baignées de larmes, mais le flot incessant continue de plus belle. Je n'arrive tellement pas à y croire..

Assise sur le sable, les jambes recroquevillées contre la poitrine et la tête sur les genoux, je regarde l'horizon en tentant de calmer ma respiration. Je sors de mes pensées à l'instant où je sens une masse s'asseoir près de moi. La brise légère de ce début de soirée apporte les effluves d'un parfum que je connais très bien.

- Comment tu te sens ?

Je hausse les épaules sans dire un mot. Le regard toujours rivé sur l'océan, j'essaie de ravaler les larmes qui pointent de nouveau le bout de leur nez. Des bras viennent enlacer mon corps et me forcent à venir y blottir mon visage. Une main se pose sur mes cheveux et les caresse tendrement, permettant ainsi à mon cour de battre moins vite et à ma respiration de se faire plus régulière.

- Je suis désolée, soeurette, sincèrement.

- Ce n'est pas ta faute. J'aurais dû être plus attentive cette année et avoir de meilleurs résultats.

Je me détache de son emprise et plante mon regard dans le sien. Il semble réellement peiné par

la situation et je lui en suis très reconnaissante.

- Peut-être que quelqu'un va laisser sa place et que tu seras prise, non ?

- Cam, tu as lu la lettre, je dois attendre qu'il y ait trois désistements. C'est énorme.

Je suis dépitée. J'ai été stupide à vouloir profiter de ma dernière année au lycée et je me retrouve avec un dossier plus que médiocre. Je savais que la compétition allait être rude, mais de là à ne pas être acceptée du premier coup...

- Pas tant que ça, ajoute-t-il. Je ne sais pas s'ils sont pris mais... je peux toujours essayer de

noyer Tyler, pousser Holly dans les escaliers et écraser Esther en voiture!

Je me tourne vers lui, horrifiée et découvre un sourire espiègle. Il explose de rire et je n'arrive pas à me retenir de le bousculer sur le sable.

- Tu es affreux !

- Ça a eu le mérite de te faire sourire !

Il me fait un clin d'œil en se redressant.

- Et c'était aussi pour te montrer que trois places, ce n'est pas la mer à boire.

- Ça fait quand même trois de trop, me résigné-je.

Cameron baisse la tête et triture les petites peaux autour de ses doigts. Je me rends compte, à ce moment, que je ne l'ai pas félicité.

- Excuse-moi, je ne t'ai même pas dit bravo pour ton résultat ! Je suis contente pour toi,

vraiment..

Je lui fais un sourire sincère, plissant davantage mes yeux rougis et bouffis par les larmes.

- Je sais, ne t'en fais pas.

Il se penche et m'embrasse sur le front, essuyant au passage une dernière larme qui roule le

long de ma joue.

- Tu sais que tu fais peur à voir ? Regarde-moi tes yeux, là, on dirait que tu t'es fait piquer par

des moustiques. T'es moche, soeurette!

Il se met à rire à gorge déployée devant ma moue offusquée par si peu de considération. Je le pousse une nouvelle fois dans le sable et me mets à rigoler avec lui, pour de vrai, sans me forcer. Et ça fait du bien.

Je coupe mon téléphone, à la fois heureuse et dépitée de savoir que les filles ont eu une réponse favorable pour leur candidature à Seattle. Dans la bande, je suis officiellement la seule à ne pas avoir eu le résultat souhaité, mais Holly et Esther ont essayé tant bien que mal de me rassurer concernant l'issue de cette histoire et j'espère que ce sera aussi positif que ce qu'elles disent. Après tout, nous avons prévu de faire une colocation et il n'est pas envisageable que cela ne se produise pas. Même si dans le pire des cas, je peux toujours m'inscrire dans l'université d'État. C'est toujours mieux que rien... Les larmes séchées et le moral un peu meilleur, je remonte en direction de la maison.

La table du jardin est déjà dressée pour le repas de ce soir et je remarque tout un attirail dont la vue me donne automatiquement le sourire : baguettes en bois, sauces asiatiques, petites coupelles pleines de gingembre, sachets de wasabi... Ravie de ma découverte, je me dirige vers la baie vitrée ouverte qui donne dans la cuisine et y vois ma belle-mère et Jayden.

- Pourquoi il y a des sushis ? demande justement Mia à son fils, le regard interrogateur.

Je l'observe déplacer avec délicatesse les sushis de leur boîte d'origine vers un plateau en céramique. Concentré sur sa tâche, il ne me voit pas arriver dans la pièce.

- Je suis allé les acheter pour ce soir.

- Mais je croyais que tu n'aimais pas ça ?

- C'est pour...

Il finit par lever la tête vers sa mère et constate, au passage, ma présence. Laissant sa phrase en suspens, il plonge son regard dans le mien et reste quelques instants à me fixer.

- C'est toi qui les as achetés ? lui demandé-je, le sourire jusqu'aux oreilles.

Il hoche simplement la tête et mon coeur fond comme neige au soleil. Ce n'est peut-être pas grand-chose mais en cette journée catastrophique, du poisson cru et du riz ne peuvent qu'apaiser mes maux. Oui, je suis de celles qui sont prêtes à tuer pour des sushis !

- Merci, c'est... C'est la meilleure nouvelle de la soirée, réussis-je à dire.

Je crois qu'il s'agit de la plus grande conversation que nous ayons eue. Du moins à sens unique, puisque depuis que je lui ai adressé la parole, il ne m'a toujours pas décroché un mot. Le regard encore bloqué sur moi, il reste silencieux, plongeant la cuisine dans une atmosphère très gênante.

- C'est gentil de ta part, Jayden, d'avoir fait ce geste, le remercie sa mère en posant une main

rassurante sur son avant-bras.

Ce contact semble le sortir de sa léthargie car son expression figée se transforme

immédiatement en un regard froid et distant.

- Je les ai achetés pour Astrid. Je sais qu'elle apprécie la nourriture asiatique, ce n'était pas

pour te faire plaisir à toi, ajoute-t-il d'un air détaché dans ma direction.

Bouche bée, j'hésite entre lui arracher les yeux et pleurer comme une madeleine face à tant de mépris. Comment est-ce que je peux trouver ce mec aussi beau alors que je n'en ai jamais trouvé d'aussi con ? Agacée, je croise mes bras contre ma poitrine, essayant de calmer ma respiration.

- Tu es mal renseigné, l'agressé-je presque. Elle aime le chinois, pas le japonais. Et je suis la seule à aimer les sushis dans cette maison.

Ma repartie a pour effet de l'arrêter net.

- Cameron aussi, reprend-il sans se laisser démonter par notre échange de plus en plus

houleux.

- Il n'en a jamais mangé.

- Alors ça tombe bien, il y goûtera ce soir.

- S'il vous plaît, coupe Mia avant que je ne trouve quelque chose à répondre. Ce n'est pas le moment de vous chamailler pour un malheureux repas. Si les sushis sont un sujet de discorde entre vous alors nous n'en achèterons plus.

Elle nous toise l'un et l'autre. Bien évidemment, éviter le sujet plutôt que crever l'abcès, un classique dans cette famille. Jayden n'a cessé de transférer les sushis de la boîte en carton au plateau, comme s'il était indifférent à notre discussion. Pour ma part, je suis une boule de nerfs qui ne demande qu'à exploser. J'ai envie de le tuer. Moi qui pensais qu'il commençait à devenir plus sociable avec moi... Avant de lui sauter dessus et d'enrouler mes mains autour de sa - magnifique, soit dit en passant - gorge, je préfère m'éclipser en vitesse à l'étage. Jayden White, tu n'es qu'un pauvre type et tes sushis, tu peux te les mettre là où je pense.

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