1 - Ma vie ennuyeuse
Li Young
Encore une journée d'ennui. Sérieusement, j'ai en ai marre de devoir supporter tous ces jeunes insolents et mal élevés qui composent ma classe. Je renifle leur odeur de prétentieux, ignorant de la vraie vie et des souffrances des autres. Tout tourne autour d’eux. Désolant ! Je me rebelle contre l'injustice et la méchanceté. Et, oui, je suis ainsi, rebelle dans l’âme. Je m’énerve facilement, et je serre souvent les poings pour évacuer ma révolte qui se transforme, le plus souvent, en colère. Parfois, je ne maîtrise pas mes états d’âme et la situation tourne en ma défaveur. Je soupire. Que faire ? Je suis constamment sanctionnée par les professeurs pour mon agressivité, parce que je suis la seule à être prise en flagrant délit. Évidemment, je suis trop en rage pour m’apercevoir que je suis celle qui est repérée à chaque fois. Je ricane. Ils m’agacent tous. Aucun d’entre eux n’a d’intérêt pour moi.
J'en suis à ma dixième heure de colle, au moins. Quand je lui ai annoncé que j'étais encore punie, ma mère a piqué une colère féroce. J'en ai encore les oreilles qui sifflent. J'ai ordre de me conduire correctement cette fois-ci sous menace d’être envoyée dans le village perdu dans le fin fond de la Corée du Sud où ma grand-mère habite. Non, ce n'est pas une solution envisageable pour moi. Alors, je vais prendre sur moi, et faire en sorte de ne pas m'occuper des problèmes des autres.
Comme tous les matins de la semaine, je marche jusque l'arrêt de bus. J'attends. Je consulte mon emploi du temps, journée très décontractée aujourd'hui. Une sortie au musée est prévue, un musée sur l'histoire du royaume Koguryo (au début de notre ère, royaume coréen situé sur la Corée du nord et une partie en Mandchourie). J'avoue que cette période me fascine. Les costumes d'époque étaient magnifiques, et j’aime l’histoire de notre pays. Je me réjouis à l'avance, pour une fois que nous faisons quelque chose d'intéressant et de distrayant.
Je monte dans le bus qui me conduit quotidiennement au lycée. Je descends et je découvre un attroupement d'élèves devant les bus scolaires. Je retrouve ma classe. Je me place à quelques mètres d'eux, toujours en retrait. Je ne parle à personne, je préfère garder mes distances. Je ne suis pas très sociable comme fille, ma personnalité est ainsi. D’où le fait qu’ils me menacent et font en sorte que je sois prise en défaut. Ils interprètent mon silence comme de la prétention alors qu’il s’agit en fait de la préservation et de la timidité. Je ne me sens pas comme tout le monde et ce depuis mon plus jeune âge. Ma différence inconnue m’éloigne des autres.
La visite des salles d’exposition des chefs-d’œuvres d’époque, des vestiges précieux, précautionneusement conservés, me captive énormément. J’écoute avec attention les explications du guide. Je bois littéralement ces paroles. Je suis transportée dans un autre univers. Je rêve de ces valeureux combattants plein de bravoure prêts à risquer leur vie pour leurs idéaux.
Personnellement, j'ai passé une matinée merveilleuse. J'ai encore les yeux plein d'étoiles, d’aventures de rois, princes et princesses, à l’image des dramas anciens que je visionnent. Je songe à la vie que j'aurais pu avoir à cette époque. En tous les cas cela ne pourrait pas être pire qu’en ce moment. A choisir, j’aurais préféré être une femme noble. Je souris à cette perspective.
Je descends du bus et comme je suis encore dans mes propres réflexions, je ne m’attends pas du tout à ce que quelqu'un me bouscule. Je tombe sur les genoux, me blessant en même temps. Lorsque je réalise que cet acte était volontaire, je me tourne furieuse vers la personne. Aucune surprise quand je découvre qui elle est, elle s'appelle Chin Yeon. Elle ne m'apprécie pas et je ne connais pas du tout l’origine de sa haine. Elle m’ennuie et me provoque en permanence. C’est d’ailleurs à chaque fois à cause de ses provocations que je suis interpellée et punie. Je me relève énervée, et me jette sur elle. Je l'attrape par les cheveux et je l'oblige à tomber également à genoux.
Le professeur et deux accompagnateurs arrivent à ce moment là pour nous séparer. Et bien évidemment, c'est moi que l'on punit, et je suis emmenée dans le bureau de la Directrice. J'avance à leur côté en baissant la tête. Je sais que je risque l’expulsion cette fois-ci. Mes parents m’avaient pourtant prévenue.
J'entre dans le bureau de la Directrice en courbant le dos. Ses yeux se figent sur moi. Elle pince les lèvres. Je ne vais pas m’en sortir :
"- Cette fois, je vais appeler tes parents. Tu n'y couperas pas. Je t'avais mise en garde mais tu continues à te comporter avec agressivité. Ce n’est pas un comportement exemplaire pour une jeune fille. Nous avons fait de notre mieux pour te remettre dans le droit chemin, mais tu te bornes à outrepasser les règles de notre règlement intérieur. Tu passes ton temps à te disputer et te battre avec tes camarades de classe" Elle me réprimande.
"- Je n’ai pas commencé ! Chin Yeon m’a bousculée et s’est moquée de moi avec ses amis. Alors, je me suis défendue !" Je lui annonce.
"- Peu importe, c'est toi qui a été vue à taper sur une de tes camarades de classe", elle me répond impitoyable.
Bien évidemment, mes parents sont appelés. Nous sommes tous les trois dans le bureau de la Directrice. Elle raconte à mes parents mon attitude bagarreuse. Mon père me gifle devant ces deux femmes. J'ai ordre d'attendre dans le couloir. Je pose ma main sur ma joue, encore chaude. Je m'assois sur le banc dans le couloir, je digère la gifle que j'ai reçue. Je suis encore une fois, injustement accusée, mais je ne peux pas le prouver. Je pense que mon père va essayer de parlementer pour que je sois pas expulsée. J'attends longuement que leur discussion prenne fin. Mes parents sortent, enfin, du bureau. Mon père me toise du regard en me passant devant. J'imagine qu'il n'a pas pu arranger ma situation. Et en ce moment, je dois lui faire honte. Ma mère me regarde en biais, elle est également furieuse. La Directrice n’a pas dû les ménager.
Je suis mes parents, tête baissée en courant pratiquement pour arriver à leur niveau. Mon père sort son téléphone portable. Il appelle sa belle-mère. Je relève la tête au moment où je l'entends demander à ma grand-mère si je peux venir chez elle pour finir ma scolarité. Autrement dit, on me fait quitter Séoul pour Namsan, un petit village paumé et peu connu. Je ne veux pas me perdre là-bas. Vu le degré de colère de mon père, je sens que je dois garder le silence et subir ma punition sans me révolter.
Deux jours plus tard :
Mes bagages sont prêts. Ma grand-mère s'est occupée de m'inscrire dans le lycée de la ville de Gyenjiu à plusieurs kilomètres du village où je dois résider. Seule ma mère est présente pour me saluer et me souhaiter un bon voyage. Elle reste silencieuse et évite de me regarder. Cette situation est embarrassante. Je me sens rejetée par mes parents. Mon père n'a pas daigné se présenter, il m'en veut encore. Je suis triste de son attitude. S'il savait que je ne suis pas responsable à cent pour cent. Je n'ai fait que de me défendre. Mais qui voudra me croire si je dis la vérité ?
Je prends le train. Mon voyage va être un peu long. Je mets de la musique de groupes de « pop» coréenne dans mes oreilles, je m'installe le plus confortablement possible dans le train. Je sors un livre que j'aime beaucoup en ce moment. Ainsi, j’aurais l’impression que le voyage sera plus rapide. J'ai mal au cœur de quitter Séoul et ma mère, ainsi que mon père, même si je lui en veux énormément. Il me considère comme un fardeau, il pense que je veux ruiner ma position sociale et mon avenir. Il fait erreur. Je ne voulais pas le décevoir, au contraire, mais il a toujours mis la barre trop haute à atteindre pour moi. Je ne suis pas de son niveau, c’est tout ! C'est peut-être mieux que je m'éloigne pour plusieurs mois, au moins je n’aurais plus rien à prouver, et je vivrais sans pression.
Après deux heures de trajet, j'arrive enfin à la gare de Gyenjiu. Je descends du train. J'ai mal au dos, et des courbatures dans les jambes. Ma grand-mère me fait des signes pour que je la vois. Je me dirige vers elle. Elle me sourit et me serre affectueusement dans ses bras. Je suis heureuse de la revoir et émue par son élan de tendresse. Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait pas manifesté de l’affection à mon égard. J’en ai la chair de poule. Elle me fait remarquer que j'ai beaucoup changé. En fait, j'ai deux ans de plus depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Nous sortons de la gare et cette dernière appelle un taxi. Elle prend ma main qu'elle serre dans la sienne durant tout le chemin. La chaleur de sa peau se répercute dans mon cœur. J'ai besoin de réconfort et ce contact m'aide beaucoup.
Nous arrivons devant sa maison. Elle ouvre, je la précède. Par contre, l’intérieur n'a pas changé du tout. Je retrouve ma chambre. Je dépose mes bagages. Je m'allonge sur le lit, je fixe le plafond. "Me voilà arrivée dans ce trou perdu !" Je songe en serrant les lèvres totalement dépitée et alarmée.