ÉPISODE .01
Eliott
En tant que célébrité beaucoup de choses vous sont interdites et votre image face au "grand public" est sûrement la chose qui vous demandera le plus de soin. Elle est si cruciale que le reste importe peu. Même à cinq heure du matin, un café en main et un casque autour du cou vous devez paraître parfait. Aucun cheveux ne doit tomber sur votre visage, votre tenue doit être époustouflante tout comme votre prestance. Bien évidemment, il est hors de question de montrer que vous êtes fatigué dû aux nombreuses heures de vol que vous veniez de vivre.
Être insomniaque n'arrange pas les choses bien évidemment, mes nuits de sommeil sont inexistantes, je suis sûrement trop concentré, à tout sauf dormir. Mes yeux me supplient de les laisser se fermer mais mon cerveau n'est pas pour, c'est une interdiction. Mes paupières glissent doucement pour se fermer mais se réouvrent en entendant les bruits. Pourquoi je ne peux pas être normal ? Au moins pour le sommeil.
Lorsque je suis descendu de mon jet privé, après être revenu d'un de mes concerts pour ma tournée mondiale, et que la foule déjà présente a croisé mon regard, une boule s'est formée dans ma gorge. Ils sont bien là, prêts à me prendre en photo, et pas sous mon meilleur jour. Je ne sais même pas comment ils peuvent connaître l'heure d'atterrissage. Les hurlements n'aident pas à calmer mes nerfs, bien au contraire. J'ai envie de détruire plusieurs personnes mais ce n'est sûrement pas une bonne idée. "Pense à l'image publique" comme dit mon manager, cette foutue image. Du visuel, voilà ce que je suis, la représentation du beau, cet homme qui même sans avoir dormi ressemble à une perfection.
En même temps ces vautours veulent des infos, même après un mois le scandale "Hamilton" est toujours encré comme les tatouages sur ma peau. Mes gardes du corps, eux, se battent avec la foule pour que j'ai un simple espace de liberté et que mon corps se faufile, parmis ces gens qui me connaissent par coeur et dont j'ignore le nom et l'existence. J'ai dû croiser des milliers de fans et je ne me souviens du prénom d'aucun, eux, se souviennent de moi à l'inverse. Je ne m'attarde pas sur ce genre détail.
Des lunettes de soleil et une casquette sont là pour tenter de cacher le massacre. Les flashs qui crépitent autour de moi rendent la chose difficile. Ce bruit est un réel supplice à entendre. Voilà des années qu'il trotte dans ma tête comme le bruit d'une horloge et c'est ainsi jour et nuit. Parfois je vis mal ma célébrité mais j'ai signé pour cette vie et le reste donne bien plus envie.
- Eliott ! Une photo s'il te plaît !
Les sons entrent et sortent de mes oreilles aussi vite qu'ils y parviennent. En quelques secondes j'observe des dizaines de visages. Ce n'est pas le moment de faire un faux sourire. Je suis heureux d'avoir des gens m'adulant et me félicitant quoi que je fasse, mais ils sont bien trop envahissants. Parfois, je veux juste marcher seul dans la rue sans pour autant avoir une colonie de vacances me suivant, de l'intimité c'est tout ce que je demande, mon âme a besoin d'une pause. J'aimerais garder une vie banale tout en étant reconnu, je déteste avoir des gardes du corps. J'ai l'impression d'être faible.
Les stars doivent être sous leur meilleure angle car même si nous marchions deux mètres on est toujours analysé et critiqué. Un jour, une fille m'a même embrassé contre mon gré après être montée sur la scène d'un de mes concerts en furie. Ce jour-là, j'ai crû halluciner. Ses lèvres étaient rugueuses et fines, j'ai tenté par tous les moyens de m'échapper tant j'ai crû m'étouffer avec son haleine.
- Eliott, où en es-tu avec tes addictions ?
Un de mes hommes ouvre la porte du van et je m'engouffre à l'intérieur mettant fin aux hurlements et aux questions trop intrusives. Je remets ensuite mon casque et ma musique en fond. Jeff est habitué : il est mon chauffeur depuis que je vais à l'école, et je n'ai jamais été très bavard. Ce n'est pas vraiment une nécessité, les médias parlent à ma place. Le droit de parole est un luxe car on sait les choses avant même que je les fasse.
C'est mon père qui l'a embauché comme chauffeur privé, et j'ai insisté pour le garder à mes côtés. Je me sens à l'aise avec lui, comme en famille. Mon père a été un entrepreneur milliardaire qui n'a jamais eu de temps pour sa famille, ou peu. Pourtant, je l'ai aimé, étant émerveillé par les seuls instants que j'ai passés avec lui, me comblant. Ça avait été mon père, mon exemple et je ne me remettrai jamais de sa mort. Un enfant a perdu une des roues de son carrosse d'or. Ça fait un moment qu'il est mort, et pourtant... À vingt-cinq ans, je ne comprends toujours pas pourquoi il n'est plus à mes côtés. C'est un vide que personne n'arrivera à combler un jour. Je garde les bons souvenirs, ceux qui me restent. Si je n'avais pas de photos pour me souvenir de son visage il serait sorti de ma mémoire en un clin d'oeil.
Mon doigt passe sur le bouton pause de ma musique en entendant des bruits de fond. C'est Jeff qui me parle, et je n'ai -bien sûr- rien écouté...
- Tu disais ?
- Je te demandais si ce soir, tu avais quelque chose de prévu...
- Oui. Viens me chercher à 20h.
Je suis heureux de me dire qu'après un mois je vais enfin revoir mon meilleur ami : Kylian. Ce soir il fête son anniversaire. Nous sommes amis depuis nos cinq ans et je l'adore. C'est l'une des personnes de mon entourage à qui je voue une confiance sans faille et pour qui je serai capable de tout. Si l'un de nous appellait l'autre pour lui dire qu'il a tué quelqu'un, l'autre l'aidera à s'en sortir sûrement en cachant le corps. C'est ça notre amitié. Elle arrive à tout surmonter. Il est très important à mes yeux puisqu'il a passé une bonne partie de sa vie avec moi, et m'a vu changer et grandir. Je suis passé de son meilleur ami à une personne mondialement connue ainsi que l'une des personnalités les plus riches du globe, tant qu'influente, défilant sur les tapis rouges et remplissant les plus grandes salles de concert du monde.
Quelques heures plus tard mon doigt claque sur la sonnette. J'ai eu du mal à attendre toute la journée. On ne s'est vu qu'en appel vidéo. Entre mes déplacements incessants, et me dire qu'il est toujours loin de moi ça en devient assommant. En temps que personnalité importante je fais très attention aux personnes que je côtoie car celles toxiques arrivent sans prévenir. Mon cercle est le même depuis une dizaine d'années. Petit, sectaire, il y a biens des mots pour en parler mais c'est ce qui me plait. On n'arrive pas à me fréquenter si facilement. Je suis à part, unique, privilégié, pour faire simple le mot qui me convient le plus est : célèbre. Rares sont ceux qui comptent pour moi.
La porte s'ouvre sur mon ami en simple t-shirt et jean, et il me prend vivement dans ses bras. Je dois ressembler à une vraie fillette mais je n'en ai rien à faire, son contact me réchauffe le coeur. À mon inverse Kylian est quelqu'un de très calme et non artificiel.
- Tu m'as manqué mec !
- Toi aussi, dis-je en entrant. Bon anniversaire.
Il referme la porte et je me dirige vers le salon, où toute sa famille est déjà là. Ils me connaissent tous, au moins je suis un minimum à l'aise. En réalité je hais plus que tout au monde lorsqu'il y a quelqu'un d'autre que je ne connais pas à un repas ou un rendez-vous censé être privé. On ne sait pas comment la personne va réagir et je me sens remplacé. Sans oublier que les trois quart de ces personnes lancent des rumeurs pourries et s'exaltent de m'avoir rencontré. C'est moi le centre d'attention de mes amis et non quelqu'un d'autre, je suis le model et le roi de la salle.
Mon regard se dirige vers Camila, la soeur de mon meilleur ami. Il y a un peu plus d'un an elle était souvent dans mes draps, désormais elle est fiancée et attend un enfant. Kylian m'a forcé à la laisser tomber, il le sait, je ne suis pas la meilleure personne au monde et se dire que son ami sort avec sa soeur c'est assez glauque. Malgré tout elle reste un très bon coup. Il faut passer à autre chose et à vingt cinq ans je suis aussi seul que le dernier des pauvres alors que je suis riche à en mourir. Les femmes n'en veulent qu'aux billets dans mon porte feuille, je suis pourtant beau. Mon caractère est sûrement mauvais. Après plusieurs années je me suis résigné à finir ma vie avec quelqu'un, je n'aurai jamais cette chance. Les coups d'un soir c'est ce dont ma vie est faite, une célébrité n'a pas le luxe d'être aimé. De toute façon je veux ni me marier ni avoir d'enfant. Je déteste les deux. Le mariage est un beau mensonge que l'on fait devant toute la société. Personne ne peut vivre avec la même personne toute sa vie, c'est bien trop dur ! Dans un couple l'un des deux trompe l'autre au moins une fois, c'est souvent mon cas. Avoir le même corps dans son lit toute une vie ce n'est pas possible, la personne est déjà passée au bout d'une nuit dans ma situation.
Kylian s'est marié avec Anna il y a bientôt un an. Je n'ai même pas pu venir au mariage car j'étais en concert. Même en essayant de négocier avec Jason, ça n'a pas été possible : vingt milles personnes attendaient mes performances et le mariage de mon ami passait en dernier sur la longue liste de mes obligations... C'est une chose que je regrette amèrement. C'était important pour moi, mais mon emploi du temps ne me l'a pas permis comme souvent.
Tout le monde profite des amuse-bouches déposés la table en verre tandis que je bois mon verre d'alcool en silence.
- On attend quoi pour manger ? soufflé-je, las d'attendre
- Kelsey. Elle nous a dit qu'elle aura un peu de retard.
- Si tu demandes c'est la meilleure amie d'Anna.
Je reste un instant stoïque comme si plus rien ne répondait. Mon système nerveux n'arrive plus à trier les informations qui me sont données. Qui est la fille qu'ils ont invitée ? J'espère juste que ce n'est pas une fan en chaleur qui va m'énerver...
- Dis-moi qu'elle ne va pas me sauter dessus.
- Ça risque pas ! Kelsey ne juge que par elle-même, et crois-moi, elle n'est pas fan de toi. C'est une vraie tête de mûle. Souffle le père de Kylian.
Kelsey ? C'est quelle genre de personne ? Et puis personne ne juge par soi-même, ça n'existe pas on juge grâce aux conneries des médias. Comment se fait-il que tout le monde la connaisse et moi non ?
- Attends, tu veux dire quoi par là ?
- Tu verras par toi-même...
Mon ami lève les mains en l'air comme si il n'y est pour rien avant de s'asseoir sur le canapé et de prendre son portable tandis que j'arbore une expression excédée.
- Elle est très charmante, Kels' c'est tout un personnage. surenchérit Camila.
Je prie intérieurement pour que ça se passe bien. Je ne suis pas très gentil voir absolument pas, sauf avec ceux que je connais. On me nomme plus de "vrai connard" et l'assumer totalement est là meilleure chose à faire. J'envoie balader toutes les personnes qui ne me plaisent pas. C'est moi qui ait du pouvoir et non les autres. Eux, sont de simples misérables qui essaient de finir leurs fins de mois alors que je peux vivre plusieurs vies de débauches avec ma fortune et ça rien ne l'égale. C'est une règle : les gens doivent faire ce que moi je veux et quand je le veux, au risque de se prendre mes foudres - et beaucoup savent que je peux détruire toute une vie.
Lorsque j'entends le bruit de la sonnette, mon dos se raidit aussitôt, comme un piquet, ma position est semblable à celle d'une marionnette en bois qu'on a privé de tout mouvement. Anna se lève pour ouvrir et je lance un regard de détresse à mon meilleur ami. Je suis aussi stressé qu'à mon premier concert.
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