Chapitre 20 : Le club d'échecs
Le campus s’était vidé peu à peu de ses étudiants. Le silence se laissait perturber de temps à autre par le vent qui ébouriffait des branches de cerisiers, éparpillant leurs pétales, tel des flocons de neige.
Je levais les yeux émerveillés au ciel et admirais ce spectacle apaisant.
Mes pensées qui avaient été assiégées toute la journée par Ren et sa fiancée, profitaient de ce court répit.
- Je suis en retard, désolé, fit Timote en arrivant les bras chargés d’un carton.
- Je n’attends pas depuis longtemps, rassure-toi.
- Bien, on peut y aller dans ce cas..
La salle du club d’échecs était grande et divisée en deux parties. Malgré de larges baies vitrées et à cause de l’ombre d’un autre bâtiment, la lumière du jour n'arrivait que partiellement dans cet espace situé au rez-de-chaussée. Un fouillis ambiant ainsi qu’une odeur de renfermé montraient que les lieux n’avaient pas été utilisés depuis un moment.
D’après Hirohisa, l’ancien club d’échec se situait de l’autre côté de Komaba, mais que suite à une recrudescence de participants, l’administration avait mis à leur disposition ces locaux beaucoup plus spacieux.
Il devait consigner ce qui se trouvait là et le ranger, avant de prendre possession des lieux.
- Je pourrais t’aider à tout installer, si tu veux ? Proposais-je alors que nous finissions notre première tâche.
- Et bien, c’est que beaucoup ont déjà proposé, dit-il en essayant de ne pas me froisser.
- Je comprends, répondit-je sans me formaliser de son refus.
- Je me demandais… si tu avais déjà joué aux échecs ? Finit-il par me dire après un moment de silence.
- Non, jamais.
- Ne pense pas que je veuilles t’influencer dans ton choix de club, mais ça te dirait de faire une partie avec moi ?
- Pourquoi pas, acquiesçais-je toute contente de pouvoir approfondir mon amitié naissante avec ce garçon. Mais je te préviens, je ne suis pas très doué pour ce genre d’esprit.
- Le but est avant tout de s’amuser, alors pas de pression. Tu veux ?
La partie qu’avait engagé avec moi mon professeur d’échec improvisé, me permit de voir à quel point j’étais nulle.
Ma gaucherie ne découragea pas pour autant Timote, qui persévéra dans son enseignement.
Au bout de la troisième partie, je compris que ce n’était pas un jeu de dames et je tentais même de prendre les pions de mon adversaire.
- Je vois que tu commences à saisir le truc, m’encouragea Hirohisa tout en s’amusant de mes tentatives d’offensives.
- Vraiment ?
- Oui, je pense qu’en quelques semaines, tu seras totalement familiarisé avec l’échiquier.
J’étais ravie d’entendre que je n’étais, en fin de compte, pas si mauvaise en quelque chose.
Je découvrais tout un univers et surtout la personnalité intéressante et amusante de Timote.
Nos parties s’enchainèrent dans une humeur légère, où rires et petites chamailleries rendaient le jeu encore plus divertissant.
Vraiment j’avais bien fait de venir à Tôdaï.
Je ne sais pas si j’aurais fait de pareils rencontres ailleurs.
Je passais un moment si exceptionnel, que j’en avais presque oublié mes inquiétudes de la journée.
- Je te raccompagne à la gare, déclara Tim après avoir fermé la porte de la salle.
- Il n’est pas trop tard, je peux rentrer seule.
- Ça ne me dérange pas.
- Comme tu veux. Au fait, tu ne m’as pas dit combien nous serions cette année, l’interrogeais-je au sujet du club que j’avais, en fin de compte, décidé d’intégrer.
- Et bien si je compte les anciens, nous serons une vingtaine sûr. Quant aux nouvelles recrues, je ne sais pas encore…
- Vingt ! Vous êtes beaucoup...
- Oui on peut dire ça, dit-il amusé de mon étonnement. En fait, le club d'échecs était un peu désert à mon arrivée, mais peu après mon inscription, de plus en plus de personnes l’ont rejoint.
- Tu lui as porté chance en quelque sorte.
- En réalité, j’avais déjà une petite renommée aux échecs depuis le lycée, et une certaine personne a usé de cette notoriété pour recruter.
- J’espère que tu as touché un bon cachet? Riais-je devant l’air désabusé de Tim.
- Même pas, de plus cette lâcheuse a totalement abandonné cette année...
- Yoko ? Demandais-je en croyant deviner l’identité de la déserteuse. Puis une fois qu’il eut acquiescé de la tête, elle est vraiment culottée !
- N’est-ce pas.
Sur le trajet menant à la gare, Hirohisa se raconta un peu plus et je découvrais, à travers ses récits, toute la petite bande de copains que m’avait présenté Yoko.
Cette dernière et Tim se connaissaient depuis l’enfance, leurs parents étaient, d’ailleurs, de très bons amis.
Quant à Inoue et Kazawa, ils les avaient rencontrés à leur arrivée à Tôdaï, et depuis ils étaient devenus inséparables.
Hirohisa s’assombrit un peu en me parlant de l’année passée. Il regrettait profondément que Yoko ait dû arrêter les cours durant l’année.
Même s’ils étaient toujours restés en contact, cet interruption l’avait beaucoup affecté.
- Si ce n’est pas indiscret, qu’est-ce qu’elle a eu ? Le questionnais-je un peu hésitante.
- C’est, comme qui dirait, compliqué, fit-il avec une mine attristée.
- Pardon. Je ne voulais pas éveiller de mauvais souvenirs.
- Ne t’inquiètes pas, me rassura-t-il sans me répondre, elle va mieux maintenant.
- À vrai dire, elle m’a vaguement évoqué le sujet mais sans me donner de détails.
- Tu as l’air d’être une personne sincère, et sur qui on peut compter. Je suis sûre qu’elle finira par se confier à toi.
Si je dis je ne m’étais pas sentie flattée par les propos du jeune homme, je serai une menteuse de premier ordre.
Non, à vrai dire, j'étais bien plus que flattée, je me sentais acceptée.
A cet instant, je m’étais dit que, moi aussi, j’allais bientôt pouvoir m’ouvrir à Yoko au sujet ma véritable présence à Tokyo.
Qui sait ? Elle allait peut-être me soutenir et m’aider à y voir plus clair concernant Ren…