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- Non tu ne vas pas la réveiller, hurle une voix féminine.
Les yeux toujours clos, il me faut plusieurs secondes avant de pouvoir remettre les pièces de puzzle dans le bon ordre.
Où suis-je ?
À qui est cette voix que je ne reconnais pas ?
Je me force à me souvenir et la soudaine douleur à mon abdomen aide ma mémoire à se rappeler.
La nuit dernière, je me trouvais encore avec Sohan, piégée dans ce grand entrepôt qui était devenue ma prison.
Je croyais passer le reste de ma vie à subir ses coups et ses touchés, pourtant aujourd'hui, ce n'est pas dans une petite cellule que je me trouve mais dans un vrai lit.
La sensation de flotter, la légèreté du matelas, la douceur des draps, toutes ces émotions tellement anodines mais si inhabituelles pour moi.
Ces 6 mois m'ont tellement privé de choses banales, éloigné de la réalité, que même ces normalités me semblent surnaturelles.
Après des secondes à lutter, mes paupières s'ouvrent enfin, aussitôt aveuglées par les rayons du soleil me forçant à les refermer.
Le soleil est haut, je ne sais pas combien de temps j'ai dormi mais cela doit bien faire plusieurs heures.
Je tente de me lever mais mon ventre se tord immédiatement et je retiens un gémissement de douleur.
- Daemon, tu es un gamin, répète cette voix féminine.
- Elle dort depuis 3 jours, râle cette voix que je reconnais.
" Tu as juste quitté un monstre pour un encore pire "
Cette phrase résonne en moi et je déglutis en essayant d'imaginer jusqu'où lui serait-il capable d'aller.
Sont-ils tous pareils ?
Des monstres malsains prenant du plaisir à torturer les gens ?
Peut-il faire pire que Sohan ?
Je ne pensais pas, mais cette simple phrase me montre bien la vraie nature de ce monde. Les monstres sont partout, ce sont tous les mêmes.
Mais de toute façon, à quoi vais-je lui servir ?
Je ne suis personne pour lui.
Peut-être vais-je encore servir de soulagement ?
La simple idée que tout recommence me donne la nausée.
J'ai beau lutter pour ne pas montrer ma souffrance, je sais que je ne le supporterais pas, je ne suis pas assez forte.
- Ne commence pas, elle n'est pas comme lui... Elle a l'air si pure, si brisée.
- Ils sont tous pareils, il y en a juste certains plus forts que d'autres. Certains capables de se relever après avoir subi un coup, dit-il sur un ton de jugement, comme s'il me connaissait. Jouer la petite fille brisée est facile.
- Tu es dur.
- Je suis réaliste, dit-il simplement.
Un court silence suit cette dernière phrase et le bruit des pas se fait de plus en plus proche.
- Daemon arrête !
- Elle dort depuis 3 jours... dans mon lit, grogne-t-il.
La porte s'ouvre brusquement, il s'avance dangereusement de moi et je garde les yeux clos, dans l'impossibilité de les ouvrir mais également pour leur faire croire que je dors encore.
C'est alors qu'un son horrible perce mes tympans et que mon cœur loupe un battement.
Il vient d'exploser un pétard juste au dessus de ma tête ou j'ai rêvé ?
Mais lorsque un bourdonnement désagréable retentit dans mes oreilles comme une alarme assourdissante, je comprends que je n'étais pas au pays des rêves.
Et ce gamin vient de recommencer une deuxième fois !
J'ouvre les yeux subitement et me redresse pour lui faire face, oubliant un instant ma douleur.
- Mais t'es taré, je m'exclame en me frottant les yeux, ma voix me paraissant si faible à cause de l'idiot qui a éclaté un pétard près de mes oreilles.
- Bien plus que ce que tu ne peux penser, me répond t-il avant de se diriger vers la porte.
Présente depuis le début, la jeune femme se rue vers moi m'implorant d'un regard de ne pas y prêter attention.
Je le regarde donc s'avancer tranquillement vers la sortie ne masquant pas mon irritation.
Les yeux désormais bien ouverts... je me redresse légèrement pour regarder l'état de ma blessure.
Un bandage blanc recouvre tout le bas de mon ventre et je peux même apercevoir du sang se propager en dessous de celui-ci dû à mon redressement soudain causé par cet homme.
Un démon.
Voilà quelque chose qui le définit très bien.
Le démon ne me prête aucune attention et continu de propager sa mauvaise humeur dans la pièce.
Juste avant de quitter la pièce, il s'arrête au pas de la porte et s'exclame à l'attention de la femme :
- Fais là moi sortir rapidement, je ne supporte plus de voir cette chose révoltante dans ma chambre.
La jeune femme acquiesce tandis que moi, je reste muette, choquée par ses propos injustes.
- Et change mes draps, je ne veux, ni son odeur, ni des traces d'elle, dit-il en me lançant un regard méprisant avant de sortir de la pièce.
Je regarde la porte et lève les yeux au ciel devant tant d'arrogance.
- Ne vous inquiétez pas mademoiselle, il est toujours comme ça, essaie de me rassurer la jeune femme.
- Vous voulez dire que cette bonne humeur est quotidienne, je lâche ironiquement.
- Vous le verrez bien assez tôt, dit-elle un sourire en coin.
Avec douceur, elle m'aide à me lever et me fait faire quelques pas.
Je perds vite l'équilibre et m'appuie sur son épaule pour ne pas chuter.
- Prenez votre temps, me souffle-t-elle. Cela fait 3 jours que vous n'avez pas bougé du lit, il est normal que vous ayez un peu de mal à marcher.
- 3 jours ?
Comment le temps a pu passer si vite ?
- Je crois que vous aviez besoin de sommeil, dit-elle comme si elle lisait dans mes pensées.
Nous continuons à marcher dans le silence, moi toujours appuyée à son épaule, elle m'assistant.
Au bout de quelques minutes, ne supportant plus ce silence pesant et ayant besoin de réponses, je brise le silence :
- Pardon, mais que fais-je ici ? Qui êtes-vous ?
- Je suis Elsa, la domestique de Monsieur Cole.
Elle marque une pause, hésitant à me dire la suite.
- Elsa, dites-moi pourquoi je suis ici, je la supplie presque.
Elle tourne son regard vers moi et je lis dans ses yeux ce sentiment familier qui m'a été donné de voir durant ces 6 mois.
Ce sentiment que je déteste pour de multiples raisons.
Qui te fait sentir comme une victime, une pauvre fille à qui la vie a décidé de tourner le dos.
Ce sentiment qui les pousse à avoir de la peine pour toi, à te considérer avec commisération.
Alors que la seule chose dont tu rêves est d'être traité normalement, comme une fille banale.
Mais tu n'es plus une fille normale, cette fille a disparu cette nuit-là...
Je déteste ce regard car il me rappelle qui je suis et ce que j'ai vécu.
- Il vous a choisi.
- Pourquoi, j'insiste voyant qu'elle n'en dit pas plus.
- Cela ma chérie, vous le savez.
- NON, non je ne le sais pas, je m'énerve. En quelques secondes ma vie s'est arrêtée et je suis devenue un objet pour tous ces malades.
La colère monte progressivement en moi et je sens que je ne réussirais pas à garder mon calme et ne pas craquer.
J'ai trop de rancœur sur moi, je n'en peux plus, c'est trop lourd.
J'ai besoin de savoir, ma vie est devenue un tel mystère pour moi, parfois j'ai l'impression que je ne suis plus que la spectatrice de ma vie.
Pourquoi personne ne veut me dire ce qui se passe réellement ?
Pourquoi tout le monde joue aux devinettes avec moi croyant que je connais la réponse alors que, la seule explication que j'ai ne me conduis qu'à encore plus de questions.
J'en ai marre de ne pas savoir pourquoi il a fait ça. Pourquoi ils m'ont enlevé moi, alors que le problème était lui ?
Au fond, Sohan ne m'a rien dit de plus que le minimum. Je suis arrivée avec des questions et en suis ressortir avec encore plus d'interrogations.
Tellement de soirs à me demander ce que j'avais bien pu faire pour mériter ça.
Les pleurs sont devenus mon quotidien et j'en étais arrivée à un point où je me détestais de vivre.
J'aurais voulu partir avec ma mère cette nuit-là.
Je serais partie dans un monde meilleur sans jamais rien savoir de la vérité qui m'a brisé et de ce monde qui m'a tué mentalement.
Elsa ouvre la bouche de surprise comme si je venais de lui révéler quelque chose de surprenant et elle plante ses yeux dans les miens :
- Que vous ont-ils fait, demande-t-elle avec une voix douce, tout en me massant le dos.
Sa délicatesse et son affection me calment légèrement et j'inspire profondément avant de souffler :
- Des choses que je ne veux pas me rappeler.
La surprise se lit sur son visage et je peux même apercevoir des larmes perler le coin de ses yeux.
- Oh ma chérie, je suis tellement désolée. Vous n'auriez jamais du vivre tout ça, vous êtes si jeune.
Elle marque une pause et semble se perdre dans ses pensées.
Après plusieurs secondes de silence, elle s'exclame :
- Monsieur Cole a décidé de faire de vous sa possession. Vous lui appartenez, corps et âme, et cela, jusqu'à temps qu'il en décide autrement.
Je tombe de haut en entendant ces paroles.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
Dois-je encore me laisser manipuler, utiliser, pour un homme que je ne connais pas ?
Pour un nouveau monstre ?
Pour quelles raisons me voudrait-il comme possession, pourquoi moi ?
Les questions fusent à flot dans ma tête et j'ai l'impression qu'à tout moment, elle peut exploser. Je n'arrive toujours pas à comprendre dans quoi je suis tombée.
- Mais pourquoi, je demande.
- Je ne peux pas vous le dire, mais s'il vous plait, ne tentez pas de chercher à comprendre, d'essayer de vous échapper, ou encore, de lui tenir tête.
- Pourquoi, je répète fatiguée de toutes mes questions sans réponses.
- Car il vous tuera, lâche-t-elle subitement.
Mon sang se glace.
Une nouvelle fois, ma vie est entre les mains de monstres.
Mise en jeu et utilisée comme si elle n'avait aucune importance.
Il vous tuera, il vous tuera, il vous tuera... Ses mots se répètent comme une alarme dans ma tête.
Je ne veux pas, il me reste tellement de chose à vivre, à découvrir, je ne peux pas partir.
J'ai décidé de tenir, alors je tiendrais.
Je n'ai pas parcouru tout ce chemin, vécu tous ces mois de souffrance pour abandonner maintenant.
Au fond de moi, très profondément, j'entends cette voix qui me dis de ne pas abandonner, que la vie me réserve pleins de belles choses. D'utiliser ses traumatismes comme force et non comme faiblesse.
Je sais que les souvenirs ne s'effaceront pas, que je ne pourrais pas enlever tout ce qu'ils m'ont fait.
Mais je sais aussi que me les rappeler chaque jour ne m'aidera pas à avancer.
Il faut que je passe à autre chose.
Alors, je me concentre sur cette voix et me lève chaque matin avec l'espoir qu'un jour je retrouverais une vie normale, que ce cauchemar sera derrière moi.
Tout ça ne sera qu'un mauvais souvenir, me chuchote cette voix.
Peut-être est-ce naïf de penser cela, je ne retrouverais peut-être jamais cette vie, mais si je ne peux même pas m'accrocher à cet espoir, que me reste-t-il ?
Elsa m'explique qu'elle va me montrer ma chambre à coucher et m'accompagne jusqu'à celle-ci.
Je lui souris quand elle prend la peine de m'épauler remarquant la grimace sur mon visage lorsque je pose un pied devant l'autre.
Quand je pousse la porte, la lumière de la pièce m'éblouie et je suis obligée de reporter mon regard sur le sol en parquet le temps de laisser mes yeux s'habituer à cette forte luminosité.
Tout est blanc.
Les murs, les draps, l'armoire, les rideaux, même le tapis est blanc.
Seul le sol en parquet et le lit en bois s'opposent à cette couleur dominante.
- Wow tout est si...
- Blanc ? termine-t-elle ma phrase en rigolant.
Je lui souris et elle me montre les vêtements rangés dans l'armoire.
- Je ne savais pas quelle taille vous faisiez alors je vous en ai mis plusieurs.
Je lui souris tendrement devant cette attention et ouvre grand les yeux en découvrant tous les vêtements suspendus aux cintres.
Elle rigole devant ma réaction et moi je continue mon observation, la bouche en forme de [o].
Il y a de tout, des vêtements de soirées, des belles robes, comme des jeans ou des gros pulls.
Quand Sohan était mon possesseur, je reportais sans cesse la tenue que j'avais le jour de mon kidnapping.
Ou bien, quand il était d'humeur joueur, il m'achetait des robes très courtes et très moulantes. Des sous-vêtements sexy et tout un tas d'autres habits de ce genre...
Et il me laissait en petite tenue devant lui, se touchant en me regardant, pendant que je me retenais de vomir.
Je ne me reconnaissais pas, la silhouette que reflétait le miroir n'était pas moi, ce n'était pas la vraie Kali.
J'ai essayé tellement de fois d'échapper à cet enfer, de lui tenir tête.
Mais cela ne faisait qu'attiser encore plus sa colère.
Il n'en avait rien à faire de moi, pour lui, j'étais juste une fille de plus.
Il aimait ce pouvoir qu'il avait sur moi, il aimait me contrôler. Il aimait me torturer jusqu'à ce que je le supplie d'arrêter.
En fait, il aimait que je sois sa possession, la sienne et à personne d'autre.
- Vous êtes forte Kali, je suis sûre que vous surpasserez tout ça.
La voix d'Elsa me ramène à la réalité et je me rends soudain compte que mes pensées étaient une nouvelle fois tournées vers ce souvenir désagréable.
Comme si, maintenant, ma vie n'avait plus aucun sens.
Qu'elle ne tournait plus qu'autour de ça. De possesseurs, de violences, de sang, de morts...
Une larme s'échappe sans que je puisse la retenir et Elsa tend son bras vers mon visage.
Par reflexe, je me recule et je la vois froncer les sourcils voyant la peur dans mes yeux.
Lentement, je respire et me rassure en me répétant que ce n'est pas lui, que ce ne sont pas eux.
Elle me sourit tendrement et essuie ma larme du bout des doigts, tout en délicatesse, et je savoure ce contact chaleureux, presque maternel.
Elsa pourrait être ma mère, son sourire est réchauffant, ses yeux me consolent, son cœur est bon, je ne comprends pas ce qu'elle fait ici.
- Je vous laisse vous installer, les autres vous attendent en bas pour vous expliquer votre rôle pour la suite, s'exclame-t-elle après un instant en se dirigeant vers la porte.
Les autres ? Mon rôle ?
Je regarde son corps et sa chaleur s'éloigner de moi mais, avant de sortir de la pièce, elle se retourne :
- Vous savez, je ne peux pas vous dire pourquoi il vous a choisi, mais je peux vous dire que vous n'avez rien à craindre, Monsieur Cole n'est pas un monstre... Comparé à ce qu'il peut montrer ou faire croire.
Je doute fortement de cette dernière phrase mais ne préfère pas relever, certaine que cela ne m'amènera que des ennuis.